Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/298

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l’égalité vraies. Ou bien un contrat individuel, débattu tête a tête entre un employeur et un employé, contrat forcément léonin, qui, sous le couvert d’une égalité apparente, menait à une liberté purement nominale. La première était naturellement l’interprétation ouvrière ; la seconde, l’interprétation patronale.

Les Associations professionnelles qui naissent en 1848 ou qui, déjà existantes, passent du demi-jour de la tolérance au grand soleil de la publicité, comme celles des typographes de Paris ou des tisseurs de Lyon, s’efforcent de régler collectivement les rapports de leurs membres avec les employeurs. Elles s’appellent souvent Sociétés de résistance ; mais elles ne se bornent pas à résister à des prétentions excessives ; elles aspirent à une sorte de souveraineté industrielle et l’exercent en partie. Elles fixent la durée de la journée ; ainsi, à Marseille, une Société d’ouvriers tanneurs, la Société Saint-Claude, par une simple décision de son conseil, réduit à dix heures le temps du travail. Il faut que les patrons se soumettent. Une ronde est faite tous les soirs, et tout sociétaire surpris à travailler après 6 heures 10 est puni d’une amende de trois francs. Elles fixent les salaires ; elles imposent des tarifs ; celui qui fut élaboré par la Société des corroyeurs de Paris ne comprenait pas moins de 444 articles. Elles limitent le nombre des apprentis. Elles défendent d’embaucher des ouvriers étrangers. Elles se chargent du placement des sans-travail. Un arrêté rendu par Caussidière, le 26 mars 1849, au temps où il était préfet de police, décide qu’une commission d’ouvriers boulangers, élue par eux, aura seule le droit de servir d’intermédiaire pour l’embauchage à Paris. Elles nomment des experts qui ont pour mission de juger s’il y a ou non malfaçon ; elles s’arrogent, cette fois, une parcelle de pouvoir judiciaire. Elles déterminent surtout les cas où l’on pourra recourir à la ressource suprême en cas de conflit, au refus concerté du travail, à la grève. Elles ont des caisses de chômage pour soutenir la lutte ; elles tiennent en réserve des besognes destinées à occuper les grévistes ; la Société Typographique de Paris a pour eux un « atelier social », auquel les écrivains sont priés d’adresser leurs commandes. Elles organisent des assurances contre la maladie, et la loi fait elle-même une obligation à celles qui veulent soumissionner des travaux publics d’avoir un fonds de secours spécial en vue des accidents possibles. Elles agissent, dans ce dernier cas, en collaboration avec l’État.

Le système corporatif, qui se développe ainsi spontanément, tantôt renouvelle des usages d’autrefois, tantôt répond à des besoins que les anciennes corporations n’ont pas connus. Mais comme ces Associations professionnelles usent nécessairement d’autorité à l’égard de leurs membres, puisqu’elles leur interdisent de travailler isolément en cas de grève proclamée ou même chaque jour au-delà de la durée convenue ; comme elles s’opposent à l’intrusion d’ouvriers venant d’une autre ville ou d’un autre pays, elles peuvent être