Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/302

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riser le développement du travail et prévues par l’article 13 de la Constitution, n’obtint qu’un rapport hostile où il était accusé d’intentions spoliatrices à l’égard du capital ; et la Chambre, se refusant à prendre en considération cette demande, résolut de renvoyer toutes les questions concernant le travail au Comité d’assistance. Ce changement en disait gros sur le changement des esprits. Le socialisme n’apparut qu’une fois à la tribune de la Législative ; c’est quand on discuta, le 7 Janvier 1850. la proposition de Pelletier et Defontaine sur l’extinction de la misère et l’abolition du prolétariat. Il y fit l’effet d’un revenant malencontreux qu’on se hâte de faire disparaître. La proposition, quoique beaucoup plus modérée que celle de Proudhon en 1848, fut reçue avec des frémissements d’indignation et ne recueillit, comme l’autre, que deux voix.

Pour en revenir à la Constituante, elle créa, outre le Comité du travail, un autre instrument de réformes. Après un discours véhément prononcé le 16 Mai par Billaut, elle avait décidé une grande enquête qui roulerait sur la question du travail et qui s’étendrait à toutes les parties du territoire, même à l’Algérie. Dans chaque chef-lieu de canton, sous la présidence du juge de paix, une Commission locale, composée de délégués élus en nombre égal par les patrons et par les ouvriers, devait enregistrer les réponses qui seraient faites à un vaste questionnaire. Il ne comprenait pas moins de vingt-neuf questions, que l’on peut diviser en trois groupes : le premier relatif à la situation matérielle des travailleurs, à leurs salaires, à la longueur des journées, au plus ou moins de salubrité de leur genre de vie, à leur façon de s’habiller et de se nourrir ; le second se rapportant à leur condition spirituelle (instruction générale et professionnelle, éducation morale et religieuse) ; le troisième comprenant les vœux et désirs qu’ils pouvaient concevoir en vue d’améliorer leur sort et d’arrêter, ce qui fut une idée fixe des hommes de 1848, l’émigration des campagnards dans les villes.

Cette enquête énorme eut une bizarre destinée, D’abord on avait décrété (25 mai) qu’elle devait être terminée en un mois, délai évidemment trop court, étant donnée la multiplicité des interrogations posées. Mais le délai fut aussi largement dépassé qu’un devis d’architecte, L’enquête traîna en longueur pour des raisons diverses. A Paris, le maire, qui était alors Marrast, s’opposa de toutes ses forces à l’élection des délégués patronaux et ouvriers ; il craignait comme le feu de voir renaître la Commission du Luxembourg, Aussi fut-ce une enquête, faite par la Chambre de commerce avec grand soin, mais avec de tout autres méthodes, qui remplaça le coup de sonde qu’on avait voulu jeter au fond des mansardes et des consciences ouvrières. En province, surtout dans quelques grandes villes, les ouvriers, convoqués par les journaux ou, suivant un antique usage, à son de trompe, hésitèrent à se présenter, redoutant une inquisition policière. Les journées de Juin leur inspiraient des doutes légitimes sur les intentions qu’on avait à leur égard. Il