Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/383

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La taxe sur les créances hypothécaires n’était pas plus heureusement conçue. Elle frappait une branche du revenu, à l’exclusion des autres ; et puis, tort plus grave, elle n’avait pas de sanction ; elle n’eût été efficace que si le registre des hypothèques eût été public et cette déclaration forcée des dettes grevant les immeubles eût été un bouleversement dans le système fiscal de la France. Comme le Gouvernement provisoire ne songeait point à ordonner cette publicité, il fallait ou bien que les créanciers fussent assez honnêtes pour se livrer eux-mêmes au fisc sans essayer de le frauder, ou bien qu’ils fussent dénoncés par leurs débiteurs. Vilain encouragement à la délation, qui était d’ailleurs inutile ; car les débiteurs avaient tout intérêt à ne pas indisposer contre eux leurs créanciers, à ne pas ébranler leur propre crédit en révélant eux-mêmes qu’ils devaient des sommes importantes sur ce qu’ils possédaient. On pouvait prévoir d’innombrables dissimulations. En supposant la mesure exécutée, elle devait avoir pour résultat de faire hausser le taux des prêts hypothécaires et d’aggraver la situation des débiteurs ; car il était évident que l’impôt payé par le prêteur serait récupéré par lui sur l’emprunteur au moyen d’une augmentation dans l’intérêt. C’était encore une façon de surcharger ceux qui étaient déjà le plus grevés et de frapper de nouveau la propriété foncière.

Ayant ainsi tant bien que mal comblé le vide des caisses de l’État, le Gouvernement provisoire continuait à promettre pour plus tard l’impôt progressif. Il sentait le besoin de laisser autre chose au peuple que des augmentations d’impôts, et, dans les derniers jours de son existence, dans cette période testamentaire où les gouvernements songent à se faire regretter et sont volontiers prodigues de mesures populaires, il abolissait l’inquisition pratiquée, sous le nom d’exercice, au domicile des débitants de boissons, par ces commis que le langage courant appelait des rats-de-cave 31 mars) et il supprimait (18, 24 avril et 3 mai) la taxe payée par la viande de boucherie à son entrée dans la ville de Paris.

Le décret sur les boissons était exalté dans un préambule magnifique :


Considérant que le mode de perception de l’impôt sur les boissons est éminemment vexatoire et onéreux ;

… que l’exercice est attentatoire à la dignité des citoyens qui s’adonnent au commerce des boissons ;

… que la forme injurieuse de cet impôt constitue une excitation perpétuelle et comme une excuse à la fraude ;

… Voulant introduire l’esprit de justice jusque dans la fiscalité, etc.


C’étaient de belles paroles. Mais il était dit que les meilleures intentions du Gouvernement provisoire n’aboutiraient pas en ce domaine. À coup sûr les 330.000 débitants ainsi exonérés avaient lieu d’être satisfaits ; mais le droit de consommation augmenté, doublé, triplé, quadruplé en certains départements, pour suppléer à ce que rapportait le droit de circulation supprimé,