Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/95

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dit-elle, « pour la défense de l’ordre, de la liberté et des institutions républicaines. » Comme Guinard, commandant de l’artillerie de la Garde Nationale, hésite à canonner le peuple, Cavaignac, pour le décider, lui affirme qu’il s’agit de défendre la République. Mais Villemain, voyant passer des cadavres (côté de l’ordre) avec cette inscription funéraire « Morts pour la République », ne peut se tenir de s’écrier : « Quel mensonge pour la postérité ! » Où la vérité est-elle donc ? Il est bien certain que des républicains très sincères ont cru la République attaquée. Dès le début de la bataille. Flocon, comme s’il avait honte de cette lutte fratricide, tente d’en rejeter la faute sur l’or de l’étranger et sur les intrigues des prétendants. On a vu, en effet, des drapeaux blancs flotter, un comte de Fouchécourt commander une barricade ; des hommes ont été arrêtés distribuant des imprimés royalistes et des pièces de monnaie à l’effigie de Henri V, l’éternel candidat-roi des légitimistes. Mais c’est surtout le parti bonapartiste qui paraît avoir nourri l’espoir de profiter du désordre. Le fameux journal l’Organisation du Travail, qui prit à tâche d’exciter à la haine des classes, était subventionné par ces bonapartistes. Tandis que le Père Duchêne met les ouvriers en garde contre les provocations, une autre feuille, le Petit-fils du Père Duchêne, en est une contrefaçon napoléonienne, qui pratique une politique de surenchère et essaie de lancer, contre le banquet à 25 centimes où les adhésions le 8 juin se chiffrent par 165.532, un banquet, plus démocratique encore, à 10 centimes. Avant la grande collision, une soixantaine de personnes sont sous les verroux pour cris et manifestations tumultueuses en l’honneur de Louis Napoléon. Pendant le combat, un représentant du peuple va cherchant le même Louis Napoléon, qu’on dit caché rue du Cherche-Midi, avec l’intention de lui brûler la cervelle. Témoignage plus grave ! Louis Blanc cite une lettre qui a été vue par Charras et plusieurs autres ; elle était adressée au général Rapatel et conçue à peu près en ces termes :

Londres, 22 juin 1848. — Général, je connais vos sentiments pour ma famille. Si les événements qui se préparent, tournent dans un sens qui lui soit favorable, vous êtes Ministre de la Guerre.

Napoléon Louis Bonaparte._____

Dix mille francs en or ont été trouvés sur un enfant de quatorze ans ; bon nombre de bonapartistes figurent parmi les prisonniers. Dans les arrestations faites en province les jours suivants, ils ont encore une place considérable. Par exemple un homme est emprisonné pour avoir annoncé en faveur de Louis Napoléon une nouvelle insurrection « qui ne peut manquer de triompher, parce que les ouvriers sont dégoûtés de la République » J’ai déjà dit la croyance si commune à l’efficacité d’un sabre pour trancher les difficultés sociales. Les bourgeois sur ce point pensaient comme beaucoup d’ouvriers, témoin la dictature de Cavaignac. Il n’est pas niable que cette opinion contribua au soulèvement de Paris ; mais il n’est pas niable non plus qu’elle n’y eut qu’une part secondaire.