Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/112

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au sérieux les manœuvres de leurs complices de réaction, jusqu’au jour où ceux-ci, redevenus forts grâce à eux, les menacent à leur tour. Seule le plus souvent, la peur qu’ils ressentent alors pour eux-mêmes devient chez eux le commencement d’une sagesse momentanée ; heureux est-on quand ils n’ont pas eu, avant de comprendre la nécessité de se défendre, l’occasion qu’ils ne laissent jamais échapper, de décimer les plus solides défenseurs de la République. Et quelle différence dans les répressions des uns ou des autres par les modérés ! Pour excuser le silence complaisant gardé sur les atrocités des royalistes et des cléricaux, le thermidorien André Dumont s’écriait, même après le 13 vendémiaire, à la séance du 29 (21 octobre) : « Est-il donc nécessaire d’épouvanter le monde et la postérité ? » Cette discrétion opportune fait place à l’exagération calomnieuse lorsque ce sont des républicains avancés qui sont en cause.

C’est au nom de la liberté, de la justice, de l’humanité et de l’amour filial, que fut opéré ce que Charles Nodier dans le tome Ier de ses Souvenirs, a appelé (p. 263) « ce long 2 septembre tous les jours renouvelé par d’aimables jeunes gens qui sortaient d’un bal et qui se faisaient attendre dans un boudoir ». Or, ce qui les avait désolés, c’était la confiscation des biens ; ce qu’ils avaient poursuivi avec une rapacité dégradante, c’était leur restitution ; l’agent anglais dont il sera question plus loin, Wickham, a dû constater, dans une lettre du 6 juin 1795 (Lebon, L’Angleterre et l’émigration, p. 52), que les prêtres réclamaient cette restitution plutôt que le rétablissement de l’Évangile ; déjà en 1791 le curé Gaule, cité par Jaurès (t. Ier, p. 654), avait dénoncé les mobiles sordides du clergé réfractaire. Quant à leurs deuils et aux bons sentiments invoqués par eux ou pour eux, lorsqu’ils ne les exploitaient pas afin d’en retirer quelque avantage matériel, le tant pour cent le plus, usurier, ils en faisaient un carnaval. « Croira-t-on dans la postérité que des personnes dont les parents étaient morts sur l’échafaud, avaient institué… des jours de danses où il s’agissait de valser, de boire et de manger à cœur joie », a écrit Mercier (Le nouveau Paris, chap.lxxxiii) à propos de ces « bals des victimes » que l’exclusivisme mondain réservait aux enfants des guillotinés et dont les écrivains royalistes Nodier (Souvenirs, t. Ier, p. 254) et Lacretelle jeune (Dix années d’épreuves…, p. 203) ont reconnu l’existence.

Les royalistes du dehors ne valaient pas mieux que les royalistes du dedans. Après les orgies du début, à Coblenz notamment, était venue la misère ; relativement peu d’émigrés surent la supporter dignement et travaillèrent, la plupart menèrent une vie d’aventures malpropres. En Allemagne, où ils nommaient « péquins » (Forneron, Histoire générale des émigrés, t. II, p. 17) ceux qui n’étaient pas de leur rang, ils eurent bientôt lassé tout le monde. En Angleterre, ils étaient nombreux ceux qui vivaient aux crochets de femmes mûres, et les prêtres y acceptèrent avec plus d’empressement que de reconnaissance les secours que leur prodiguèrent les francs-maçons (Idem,