Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/137

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commission était complétée le 17 floréal (6 mai) ; elle décidait le même jour, « à la presque unanimité », d’après un de ses membres, La Revellière-Lépeaux, « qu’il ne devait être question… ni de lois organiques, ni de constitution de 93, mais de préparer le plan d’une constitution raisonnable » (Mémoires, t. Ier, p. 229). Sans discuter si cette décision a été réellement prise à cette date ou seulement après le 1er prairial, je rappellerai que, suivant le rapport de police du 30 pluviôse an III (18 février 1795) mentionné chap. vi, déjà « quelques députés… voulaient que l’on touchât à la Constitution de 1793 ». Quoi qu’il en soit, un journal du 15 prairial (3 juin) disait (recueil de M. Aulard, t. Ier, p. 760) : « Le 12 prairial, anniversaire du 31 mai, les députés victimes de cette désastreuse journée se sont réunis, dans un repas fraternel, à ceux qui, depuis le 9 thermidor, ont déployé tant d’énergie contre les brigands et les assassins. Entre autres toasts, on a porté celui-ci : « À la Constitution prochaine du peuple français ! Puisse-t-elle être également éloignée du royalisme et de la sans-culotterie ! »

En présentant, le 5 messidor (23 juin), au nom des Onze, un nouveau projet de constitution, Boissy d’Anglas lut un long rapport où figurent à quatre reprises, et peut-être pour la première fois, les mots conserver et conservation dans le sens politique qui devait être si usité par la suite — régime qui « conserve » la propriété ou qui ne « conserve rien »… « conservation de la liberté »… « notre but n’est plus de détruire, mais de conserver le gouvernement » — et où se trouve résumé, dans une formule brève ce qui, à ce point de vue conservateur, était raisonnable et ce qui ne l’était pas : « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non propriétaires gouvernent est dans l’état de nature » ; et telle sera la caractéristique essentielle de la nouvelle constitution, dite de l’an III, que la Convention vota définitivement le 30 thermidor (17 août), sauf ratification par le peuple admis, en effet, à abdiquer ses droits politiques entre les mains d’une classe, en attendant que cette classe elle-même abdique les siens entre les mains d’un homme.

Dans la séance du 2 thermidor (20 juillet), Sieyès avait exposé son système particulier et préconisé surtout, sous le nom de « Jury constitutionnaire », l’institution d’un « tribunal de cassation dans l’ordre constitutionnel ». Ce jury composé de 108 membres renouvelables par tiers et élus parmi les anciens membres des assemblées législatives, la première fois par la Convention, les fois suivantes par le jury lui-même, aurait eu le pouvoir de casser comme inconstitutionnelles les décisions du corps législatif. La Convention se refusa à entrer dans cette voie et peut-être n’aurais-je pas mentionné, ne pouvant tout mettre, la fantaisie infructueuse de Sieyès, si nous n’avions pas assisté (28 janvier 1903) à des tentatives pour nous doter d’une « cour suprême » ayant, comme le jury de Sieyès, le pouvoir d’annuler telle ou telle décision des législateurs, de corriger, en un mot, la loi. Les législateurs peu-