Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/143

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nous, mais nous avons voulu qu’ils soient recréés pour vous » (Advielle, Histoire de Gracchus Babeuf, t. Ier, p. 168). Parmi les Conventionnels, il semble que trois voix seulement, celles de Thomas Paine (l’illustre Américain élu, après sa naturalisation, par le Pas-de-Calais), de Lanthenas (de la Loire) et de Julien Souhait (des Vosges), s’élevèrent contre le nouveau projet, en faveur du maintien du suffrage universel.

Peut-être est-il intéressant de noter que, si la chose avait existé chez nous, l’expression même de « suffrage universel » qui nous est aujourd’hui si habituelle, n’était pas encore usitée en France ; mais elle avait été déjà employée en Angleterre ; je l’ai trouvée dans les débats parlementaires à la date du 7 mai 1793 où elle ne me fait pas l’effet d’être une expression nouvelle — « the plan of universal suffrage » (p. 862), « the principle of universal suffrage » (p. 863, The parliamentary History of England, de Hansard, t. XXX).

Pour d’autres motifs que les démocrates, les royalistes n’étaient pas satisfaits de la Constitution et critiquaient les quelques rares dispositions qui contrecarraient vraiment leurs idées rétrogrades. Cependant, ils s’apprêtèrent à voter la Constitution ; car c’était le départ de la Convention qu’ils désiraient par dessus tout ; « point de Convention », tel était leur mot d’ordre. La nouvelle du débarquement des émigrés effectué le 9 messidor (27 juin) à Quiberon, avait accru leur audace et, le 26 messidor, anniversaire du 14 juillet, les muscadins prétendirent empêcher le chant de la Marseillaise (recueil d’Aulard, t. II, p. 78 et suiv.). Dans les derniers jours de messidor, il y eut des rixes et des troubles provoqués par cette prétention, à laquelle venaient s’ajouter les diatribes contre la Convention qu’on voulait déconsidérer à tout prix. Déjà à cette époque, il s’agissait de substituer « un chef du peuple » (Déroulède, séance de la Chambre du 27 juin 1899, p. 1698 du Journal officiel) à « 750 rois » comme disait le journal royaliste le Ventriloque ou Ventre affamé (n° 1, p. 5), à « 700 Grands », comme devait dire Stofflet dans une proclamation (Bittard des Portes, Charette et la guerre de la Vendée, p. 568, note). Ce qu’on s’acharnait à reprochera la Convention, malgré sa rage modérantiste, c’était d’être favorable au terrorisme et à ses meneurs. De la sorte, tout en discréditant l’assemblée par des mensonges jamais trop gros pour la crédulité des imbéciles toujours trop nombreux, on utilisait le procédé qui consiste à accuser les gens d’être ce qu’ils mettent, à tort ou à raison, leur point d’honneur à n’être pas, avec l’espoir de les voir tomber dans le panneau et exagérer, pour bien prouver la fausseté d’une telle accusation, l’attitude que, perfidement, on leur dénie.

Les thermidoriens dans leur ensemble détestaient les républicains avancés. Jacobins ou Montagnards, même ceux qui avaient avec eux participé au 9 thermidor. D’autre part, ayant appris, on l’a vu chap. viii, le sort que leur réservait le triomphe des royalistes, ils avaient été amenés à détester égale-