Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/144

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ment ceux que par des faveurs ils s’étaient flattés d’embaucher à leur service, mais à qui ils avaient simplement fait la courte échelle ; devenus forts grâce à eux, les royalistes se retournaient contre eux de même que contre tous les républicains. La crainte des royalistes et la peur de paraître pactiser avec les républicains avancés, voilà ce qui allait diriger la conduite des thermidoriens. « Nous n’avons pas vaincu pour des Jacobins ou pour des rois », déclarait la Convention le 1er thermidor(19 juillet) ; aussi, après avoir décidé, le 5 (23 juillet), de fêter l’anniversaire du 9 thermidor, elle acclamait, le jour même de cet anniversaire (27 juillet), Tallien qui, de retour de Quiberon, racontant la tentative des royalistes, s’écriait : « Déjouons tous leurs projets criminels par notre fermeté ». Tallien tenait, en cette circonstance, à paraître d’autant plus résolu contre les royalistes qu’il avait plus besoin de se montrer leur adversaire. Des pièces faisant présumer ses accointances avec eux avaient été livrées au comité de salut public, ainsi que le lui apprit, à son arrivée, sa femme prévenue en secret par Lanjuinais. C’était, en particulier, « une lettre de Louis-Stanislas-Xavier (Louis XVIII) à son cousin le duc d’Harcourt, datée de Vérone le 3 janvier 1795 » (Thibaudeau, Mémoires, t. Ier, p. 229), disant : « Je ne peux pas douter que Tallien ne penche vers la royauté, mais j’ai peine à croire que ce soit la royauté véritable » (Idem, p. 230).

Après la défaite des émigrés à Quiberon, les royalistes mirent, pendant quelques jours, une sourdine à leurs bravades ; bien entendu, ils conservèrent la situation prépondérante que la faiblesse des uns et la complicité des autres leur avaient permis de conquérir dans les principales administrations du pays situation telle qu’un des Girondins les plus compromis, un des 22, réintégré seulement le 18 ventôse (8 mars), Hardy, disait dans la séance du 6 thermidor (24 juillet) : « J’arrive de Rouen : les royalistes les plus impudents ont été absous et les terroristes condamnés à des peines extrêmement sévères » ; or, à ce moment, tous les républicains étaient qualifiés de terroristes, Hardy lui-même fut « traité de terroriste, de Jacobin ». Le 15 thermidor (2 août), la Convention décida de fêter huit jours après l’anniversaire du 10 août : « En célébrant l’anniversaire du 9 thermidor, dit le rapporteur, vous avez prouvé que le règne de la terreur est pour jamais proscrit ; il importe de confondre aujourd’hui l’espoir des royalistes en célébrant aussi l’anniversaire du 10 août ». On le voit, tout en manifestant contre les royalistes une animosité un peu inquiète, les modérés en revenaient toujours à leur idée fixe de n’être pas assimilés aux « terroristes » et, sous l’empire de cette idée, les 21 et 22 thermidor (8 et 9 août), ils décrétaient encore l’arrestation de dix Conventionnels, parmi lesquels Fouché, ayant été en mission dans les départements.

Les royalistes regardaient cela d’un bon œil, étant donné surtout que contre eux, on se bornait à des phrases et à des célébrations d’anniversaires. Cependant leur impatience d’être débarrassés de la Convention, qui les amenait à accepter une constitution républicaine, avec l’espoir, du reste, d’après