Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/233

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ce but, on avait accompli une heureuse évolution qui n’eut que le défaut d’être trop courte. Grétry donna bien quelques ouvrages, entre autres Anacréon chez Polycrate en 1797 et Élisca en 1799 ; mais il ne retrouva pas avec eux ses anciens succès. Furent plus heureux à des degrés divers Méhul, disciple de Gluck comme Grétry, d’une inspiration toujours si sincère, avec Phrosine et Melidor (1795), Adrien, dont les chœurs sont très appréciés, et Ariodant (1799), Lesueur, musicien de grand talent qui devait être le maître de Berlioz, avec Paul et Virginie (1794), et Télémaque (1796), Cherubini avec Élisa (1794), Médée (1797) et l’Hôtellerie portugaise (1798), Berton avec Montano et Stéphanie (1799), Dalayrac avec Gulnare, Primerose (1798), Adolphe et Clara (1799), Boïeldieu avec ses premières œuvres et, en particulier Zoraïme et Zulnar (1798). Enfin Gossec, qui fut le créateur chez nous de la symphonie et, au moins autant que Méhul, le compositeur attitré de la République, continua à écrire des hymnes pour les cérémonies officielles. Les chanteurs les plus en renom de l’époque furent Garat, Lays, Martin, Elleviou, Chenard, Gavaudan, Mmes Dugazon et Saint-Aubin.

Notre période fut la période la plus tourmentée et la plus embrouillée de la Comédie-Française. Fermée le 3 septembre 1793, à la suite de l’incarcération de la plupart de ses artistes, elle jouait à cette époque sur l’emplacement actuel de l’Odéon sous le titre de Théâtre de la Nation. Les artistes qui n’avaient pas été arrêtés, s’organisèrent au théâtre qui était alors rue de la Loi — rue Richelieu aujourd’hui — là où est le Théâtre Français, et constituèrent le Théâtre de la République qui, malgré son succès à un moment, devait fermer en pluviôse an VI (février 1798).

Relâchés après le 9 thermidor, les artistes emprisonnés firent une courte apparition dans leur ancienne salle et passèrent bientôt au Théâtre Feydeau — n° 19 de la rue Feydeau — où ils alternèrent avec la troupe d’opéra-comique de Sageret : Paris avait ainsi deux Théâtres Français. Mais celui de Feydeau se divisa. Les dissidents allèrent jouer d’abord au Théâtre Louvois — n° 8 rue Louvois — puis dans leur ancienne salle, à l’Odéon, ce qui fit trois Théâtres Français avec des éclipses passagères.

Après une tentative de concentration de toutes ces troupes entre ses mains, Sageret, le directeur de Feydeau, ne put résister : le Théâtre de la République qu’il avait rouvert avec la troupe de ce théâtre et celle prise déjà par lui à Feydeau fusionnées, ferma ses portes le 6 pluviôse an VII (25 janvier 1799) ; la bande qui jouait à l’Odéon et qui, un instant au compte de Sageret, avait tenté de continuer avec ses seules forces, fut mise sur le pavé par l’incendie de l’Odéon le 28 ventôse an VII (18 mars 1799). Les artistes tirèrent chacun de leur côté : il n’y eut plus de Théâtre Français. Des négociations eurent lieu avec l’aide du gouvernement et, à la suite de divers incidents et changements de domicile, la troupe coupée d’abord en deux, ensuite en trois, de nouveau en deux et enfin émiettée, se trouva finalement réunie sur l’em-