Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/323

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grande notoriété, les Montagnards ne réussissent, pendant et après l’insurrection, à prendre la tête du mouvement, le comité secret, malgré le robespierrisme rancunier de Debon (Buonarrotti, t. Ier, p. 168 et 170), consentit à la réunion désirée, de son côté, par quelques-uns des conjurés, Fyon et Rossignol notamment, et proposée, de l’autre, par Drouet, Ricord et Laignelot ; cette réunion (15 floréal-4 mai) faillit aboutir non à l’entente, mais à la brouille. Après la victoire, le pouvoir devait appartenir, d’après les Égaux, nous l’avons vu, à une assemblée composée par eux d’un démocrate par département, et, d’après les Conventionnels, à la partie proscrite de la Convention : dès la première entrevue, les Égaux se prononcèrent pour l’adjonction de leur liste à celle des anciens Conventionnels de la Montagne ; pendant quarante-huit heures, les Montagnards repoussèrent cette adjonction maintenue par les Égaux ; finalement, grâce surtout à Amar et à Robert Lindet, ils l’acceptèrent (17 floréal-6 mai). À propos de l’intervention de Robert Lindet, je signalerai que, dans le rapport fait par lui, au nom du comité de salut public, à la fin de l’an II, et dont il a été plusieurs fois question (chap. II et § 7, 8 et 9 du chap. xi), se trouve une phrase : « Les moyens d’instruction ne doivent-ils pas être à portée de tout citoyen, comme les moyens de travail », qui peut encore fort bien servir aujourd’hui à résumer le but direct du socialisme. Peut-être Robert Lindet n’apercevait-il pas toutes les conséquences de cette thèse, et les radicaux actuels ne les aperçoivent certainement pas plus que lui qui parlait avant la transformation des moyens de travail ; mais le fait seul de l’avoir formulée dénote chez lui un état d’esprit qui le prédisposait à s’entendre avec des socialistes, avec Babeuf et les Égaux.

En résumé, par ce que nous avons dit tout à l’heure à propos de l’« acte d’insurrection » adhérant à la Constitution de 1793 et à certaines concessions, et par l’entente que nous venons de constater avec les Montagnards, nous voyons que Babeuf et les communistes ses amis qui, dans le chapitre précédent, se sont montrés à nous comme les défenseurs de la forme républicaine, ont, dès le premier mouvement socialiste, accepté de collaborer avec les idées et les hommes de la démocratie bourgeoise. Qu’ils l’aient fait par suite de la conscience plus ou moins nette de leur faiblesse à eux seuls et avec la volonté préconçue d’aller plus loin que leurs alliés, après avoir triomphé grâce à cette collaboration ; que, depuis, la possibilité d’une telle collaboration n’ait guère, jusqu’à ces toutes dernières années, été, en principe, admise qu’au strict point de vue, je ne dirai pas révolutionnaire, ce mot prêtant trop à l’équivoque, mais insurrectionnel — ce qui a abouti à la méthode blanquiste de la dérivation, au profit du socialisme, des mouvements populaires auxquels le socialisme était tout d’abord étranger — il me paraît intéressant de remarquer que, dès le début, la collaboration du socialisme ne perdant pas son but de vue, avec la démocratie bourgeoise, n’é-