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(milieu de novembre), de nouvelles d’Europe allant jusqu’au milieu de fructidor (fin d’août) : « M. Boulay de la Meurthe, dit-il, n’en fait pas mention dans son étude si complète ». L’importance de cette constatation est grande, à mon sens, non à cause de la réception même de ces nouvelles, mais parce que, le lendemain du jour où avait paru le numéro 17 du Courrier de l’Égypte qui ne permet pas de nier leur arrivée, Bonaparte écrivait (1er frimaire an VII-21 novembre 1798) au Directoire qu’il n’avait « aucune nouvelle de l’Europe depuis Lesimple, c’est-à-dire depuis le 18 messidor. Cela fait quatre à cinq mois » (Correspondance de Napoléon Ier, t. V, p. 195). Ce disant, Bonaparte mentait et, s’il mentait aussi effrontément, c’est que les nouvelles par lui communiquées en ce mois de brumaire (novembre) à son journal lui venaient d’une source ou par une voie qu’il ne tenait pas à faire connaître au Directoire. Or, ce qui s’est produit là une fois, d’une façon indéniable, a pu se reproduire sans qu’il nous soit possible aujourd’hui de le constater.

Alors que ce n’est qu’après le 7 thermidor, date de la bataille d’Aboukir, que Bonaparte eut les journaux de Sidney Smith, Jacques Miot, dans des Mémoires pour servir à l’histoire des expéditions en Égypte et en Syrie, publiés en l’an XII-1804, a écrit (p. 258) : « Le 6 thermidor… dans la nuit, Bonaparte fit appeler le général Murat ; ils s’entretinrent du combat qui devait se donner le lendemain et, dans cette conversation, Bonaparte s’écria : « Cette bataille va décider du sort du monde ». Le général Murat, étonné…, etc. » Et Miot ajoute un peu plus loin (p. 258-259) : « Il est évident, d’après cette anecdote, que le général en chef songeait déjà à son départ. Il avait sans doute reçu des lettres qui lui faisaient sentir la nécessité de son retour en France ». L’impossibilité de recevoir des lettres de France n’existait donc pas pour Miot.

Quoi qu’il en soit, aussitôt tout au moins après la lecture des journaux de Sidney Smith, Bonaparte qui avait, dès son départ de Syrie, résolu de rentrer le plus tôt possible en France — ce que confirment le Moniteur du 26 vendémiaire an VIII (18 octobre 1799) disant : « il en prit la résolution devant Acre », le général Bertrand (t. II, p. 103), et un « ordre secret » mentionné par M. Boulay de la Meurthe (p. 211) — mais qui tenait à y reparaître avec l’éclat de la victoire, manifesta sa volonté de partir en toute hâte à son chef d’état-major, Berthier, à son ancien condisciple, alors son secrétaire, Bourrienne, et à Ganteaume chargé d’apprêter rapidement et secrètement les navires nécessaires. Il écrivit le 5 fructidor (22 août) à Kleber de se trouver le 7 (24 août) à Rosette où il avait, disait-il, des communications urgentes à lui faire. Sans l’attendre, se bornant à laisser à celui qu’il chargeait du commandement de l’armée des instructions écrites, il s’embarquait en cachette et quittait l’Égypte, dans la matinée du 6 (23 août), amenant avec lui Berthier, Lannes, Murat, Marmont, Monge, Berthollet et quelques autres, décidé à se mettre « à la tête du gouvernement » (général Bertrand, t. II, p. 172).

Dans ses instructions à Kleber, il a écrit : « J’abandonne, avec le plus