Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/562

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articles 860 à 864 de la Constitution relatifs aux sociétés politiques ; cette proposition fut adoptée. Le Directoire répondit par la communication, le 17 thermidor (4 août), d’un rapport du ministre de la police « sur les sociétés s’occupant de questions politiques ». Prenant une initiative que lui refusait la Constitution, le Conseil des Anciens vota le renvoi de ce rapport au Conseil des Cinq-Cents, qui le reçut le jour même, mais dont la majorité, jugeant le procédé anticonstitutionnel, passait, le lendemain, à l’ordre du jour.

La manœuvre des Anciens était une invitation à sévir contre les Jacobins, très probablement concertée avec Sieyès qui, ayant tiré tout le profit possible de son alliance momentanée avec eux, à même, grâce à leur maladresse, de les discréditer dans l’opinion publique, avec quelque apparence de raison — mais il n’est pas douteux que, les Jacobins n’eussent-ils pas été maladroits, Sieyès, conformément à la tradition thermidorienne et directoriale dont j’ai cité tant d’exemples, aurait agi de même — n’aspirait qu’à les dissoudre ; Roger Ducos, par nullité, était sa chose, et Barras, par intérêt, approuvait. Ce que voulait Sieyès, ce n’était pas seulement une fraction du pouvoir, c’était le pouvoir souverain. Pour y parvenir, il s’était allié aux Jacobins contre ses collègues du Directoire, Treilhard, Merlin, La Revellière. Mais les événements du 30 prairial (18 juin) n’ayant pas abouti à l’élection de ses candidats préférés (chap. xx), il « n’avait obtenu de cette journée rien de ce qu’il avait espéré »(La Revellière, Mémoires, t. II, p. 418). Après avoir reconnu en termes louangeurs que « le parti modéré » avait triomphé en la personne de Sieyès, « âme de ce parti qui réunissait l’adresse au talent », Thibaudeau (Le Consulat et l’Empire, t. Ier p. 11) constate qu’« il était notoire que Sieyès méditait une réforme dans l’État » (Idem, p. 1415). Or, cette réforme qui consistait essentiellement à fortifier le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif, la présence de Gohier et de Moulin au Directoire et la composition du Conseil des Cinq-Cents ne lui permettaient plus de l’atteindre d’une façon à peu près régulière ; dès l’abord, il songea à un coup d’État militaire (de Barante, Histoire du Directoire, t. III, p. 450-451), comme Carnot y avait songé, avant le 30 prairial, avec l’aide de La Fayette (voir chap. xx).

Selon un extrait des Mémoires de Jourdan, publié, en février 1901, par le Carnet historique et littéraire (t. \II, p. 161-172), dans une conférence que, peu après le 30 prairial, Bernadotte, Joubert et Jourdan eurent « avec Sieyès, président du Directoire, il laissa percer, à travers son langage obscur, l’opinion de donner à la France de nouvelles institutions et plus de pouvoir au Gouvernement » (p. 162). C’est un arrêté du 21 messidor (9 juillet) qui, en désignant Marbot comme successeur de Joubert à la tête de la 17e division militaire (Paris), que celui-ci commandait depuis le 30 prairial (18 juin), annonçait sa nomination au commandement en chef de l’armée d’Italie d’où, suivant le souhait de Sieyès, il devait revenir victorieux pour opérer le coup