Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/564

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avouée à leur égard qui a rendu le terrain favorable à l’éclosion d’un coup d’État. Et Sieyès le savait bien. Aussitôt après avoir utilisé les Jacobins, il prépara ce que M. Sorel (L’Europe et la Révolution française, 5e partie, p. 429) a appelé « un mouvement tournant » ; la maladresse des Jacobins, je le répète, lui fournit le prétexte qu’il aurait au besoin inventé, non l’idée.

Voulant aiguiller à droite, Sieyès, sur la proposition de Fouché, nouvellement nommé ministre de la police, essaya de donner le change sur ses intentions en participant d’abord à une opération de surenchère à gauche, tactique que nous voyons encore appliquer de nos jours. Le 7 thermidor (25 juillet), un arrêté du Directoire décidait qu’à l’égard de 31 condamnés à la déportation (en vertu de la loi du 19 fructidor an V-5 septembre 1797 (chapitre xvii, § 1er) et, parmi eux, Carnot, Vaublanc, Cadroy, Henri Larivière, Camille Jordan, J. Ch. G. Delahaye, M. Dumas, Imbert-Colomès, Quatremère de Quincy, il serait procédé suivant la loi du 19 brumaire an VII-9 novembre 1798 (chap. xx), applicable aux individus s’étant soustraits à la déportation et les assimilant aux émigrés (Moniteur du 17 thermidor-4 août). Ayant ainsi affirmé son républicanisme, Sieyès, qui était président du Directoire, en profita pour prononcer, le jour anniversaire du 10 août, le 23 thermidor, un véritable réquisitoire contre les Jacobins et se déclarer prêt à les frapper inflexiblement. « Entendre Sieyès parler avec cette hardiesse, lui qui avait montré une soumission silencieuse pendant toute la Terreur, c’était un signe certain de l’impuissance du parti démagogique et du peu d’appui qu’il trouvait dans l’opinion publique » (de Barante, Histoire du Directoire, t. III, p. 460). Cette appréciation de M. de Barante, peu suspect de sympathie jacobine, confirme ma façon de voir et contredit celle qui joue, en la circonstance, du péril jacobin.

De même que, précédemment, le recours à la Terreur (voir début du chap. 1er), le recours au coup d’État militaire était, du reste, à cette époque, une idée acceptée dans les divers partis. D’après l’extrait des Mémoires de Jourdan (p. 163) cité plus haut, Jourdan et ses amis auraient songé, eux aussi, à ce procédé pour avoir raison des résistances auxquelles ils se heurtaient et des manœuvres réactionnaires de Sieyès. Ce serait la condition posée par Bernadette, sur lequel ils comptaient en tant que ministre — sa démission préalable — et aussi le sentiment « qu’une révolution opérée par ce moyen ne pourrait se soutenir que par la violence et nous conduirait au despotisme militaire », qui auraient empêché leur tentative de recours à la force armée ; à celle-ci, ils substituèrent alors l’idée d’une sorte de coup d’État par la voie parlementaire : ils rêvèrent d’obtenir, à l’aide de la déclaration de la patrie en danger, la suspension des pouvoirs organisés par la Constitution de l’an III, auxquels aurait succédé la dictature d’un nouveau comité de salut public. Le 25 thermidor (12 août), la société de la rue du Bac décidait de demander au Corps législatif la proclamation de la patrie en