Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/87

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§2), une des trois agences de la « commission des approvisionnements » qui avait à s’occuper du service des subsistances pour Paris ; mais, incapacité ou complicité de sa part avec les spéculateurs, elle ne parvint pas à l’assurer à peu près convenablement. L’espoir, en attendant, de vendre plus cher poussait les fermiers à cacher leurs grains ou à les garder ; la crainte, si on laissait partir les grains pour Paris, de n’en plus avoir suffisamment pour elles-mêmes, crainte soigneusement attisée par les agents des tripoteurs politiques et financiers — les gendarmes envoyés dans les environs de Paris « font beaucoup de dépenses et s’entendent avec les fermiers » (rapport du 5 pluviôse-24 janvier) ; « les fermiers et les cultivateurs secondent bien les projets destructeurs et… ne veulent rien fournir » (rapport du 22 germinal-11 avril) —, poussait les populations à empêcher la formation et la circulation des convois : l’excès d’un côté, la pénurie préparée de l’autre, ne se heurtèrent à aucun obstacle de la part de l’agence, le laissez-faire triompha. Aussi pour la masse ne disposant que d’une quantité très restreinte de papier avili en face de marchandises d’une cherté exorbitante, la misère fut atroce, au milieu cette fois de l’abondance — abondance de la récolte (rapport du 3 brumaire-24 octobre) et abondance dans les magasins « remplis en tous genres » (rapport du 9 ventôse-27 février) — et du luxe scandaleux des agioteurs triomphants (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 371). Le retour aux bons principes économistes leur ayant donné, au point de vue du prix des marchandises, leurs coudées franches, tout allait maintenant concourir à l’avilissement des assignats.

Alors qu’il aurait fallu en limiter les émissions au strict nécessaire, nous voyons les ordres de fabrication qui étaient de 5 milliards 925 millions du début de la Convention au 9 thermidor an II (fin juillet 1794), atteindre depuis cette date jusqu’à la fin de la Convention 15 milliards 752 millions 425 mille francs. Avant le 9 thermidor, la préoccupation de l’utilité générale présida à la fabrication des diverses catégories de coupures ; les plus fortes mises en circulation par la Convention ne dépassaient pas 400 livres. Après thermidor, les grosses dominèrent ; un arrêté du 26 ventôse (16 mars) prescrivit d’un coup la fabrication d’un milliard en coupures de dix mille livres et, depuis cette date jusqu’au 28 thermidor an III (15 août 1795), chaque mois nouvel arrêté de fabrication de ces coupures de sorte que, en cinq mois, leur total à elles seules atteignait 5 milliards (Révolution française, revue, t. XVI, p. 227-229) : on n’était plus guidé par la seule nécessité de satisfaire aux besoins publics, mais par les exigences des financiers poussant à, la multiplication d’un papier qu’ils se faisaient livrer au cours du jour dont ils étaient à peu près les maîtres. Et rien ne les empêchait d’employer à leur valeur nominale, en payement des impôts, des biens nationaux qu’ils achetaient, — la vente de ces biens suspendue par arrêté du comité le salut public du 10 messidor an II (28 juin 1794), avait été reprise en vertu de la loi