Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/160

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trouvée chez lui. C’est de même une voiture placée de manière à gêner le passage et portant l’artifice destiné à anéantir la voiture du premier consul ainsi que toutes les personnes qui peuvent s’y trouver[1]. On a parcouru tous les lieux publics, cafés et cabarets où les exclusifs se réunissaient tous les jours, il n’y en avait pas un seul hier. Les femmes d’un de ces cafés ont dit avec une joie marquée au bruit de l’explosion : « Ah ! voilà la création du monde qui part ! ». Un inconnu, quelques instants avant l’explosion, a dit dans un cabaret placé à l’angle des rues Chartres et Nicaise « Nous allons un peu respirer ces jours-ci, faire nos farces. » Il a paru chercher un particulier qui n’était pas dans ce cabaret[2]. Ces indices sont faibles ; les recherches se continuent[3] ».

Ce bulletin, si curieux dans tous ses détails, qui nous initient à la vie policière, soucieux avant tout du fait, de l’anecdote qui peut, qui doit se rattacher à un événement donné, montre surtout l’étonnement de la police, son impuissance à se rendre compte de l’origine de l’attentat. Une seule idée domine : le coup vient des anarchistes. Le 5 nivôse, la police dit encore « Les meneurs des anarchistes répétaient chaque jour dans les faubourgs que les patriotes auraient le dessus ». On faisait des recherches minutieuses pour savoir la provenance de la voiture qui portait la machine infernale, du cheval qui la traînait et on arrêtait un peu partout des gens innocents. Les policiers continuaient à recueillir les propos des uns et des autres : « La femme Boniface, qui fut concierge du Temple, a été distinguée dès les premiers excès de la Révolution. Elle tenait un café aux massacres de septembre, elle entretenait le délire des assassins, buvait en leur présence le sang de leurs victimes. Marat et Robespierre ont toujours été ses héros. Avant l’attentat du 3, elle parcourait les faubourgs, annonçait un événement prochain. Le 2, elle s’est rendue du faubourg Antoine au café des Bains chinois, l’un des repaires des anarchistes. Là, elle a annoncé avec enthousiasme qu’enfin Bonaparte allait tomber (en joignant à ce nom les plus grossières injures), que les patriotes allaient être bien contents[4] ». L’auteur de ce rapport de police en arrivait donc, comme Bonaparte, à surveiller surtout les septembriseurs. Bonaparte médite de chasser hors de France tous les hommes attachés à la Révolution, le policier, lui, se borne à raconter les propos de « la femme Boniface ».

Au lendemain de l’attentat, tous les ennemis de Fouché avaient fait entendre contre lui les pires menaces, excitant le premier consul, qui pour-

  1. L’original porte en marge : « La différence est que la machine de Chevalier paraissait destinée à être lancée et devait porter une bien moins grande quantité de poudre ».
  2. En marge : Un particulier rapporte avoir entendu des hommes qui marchaient fort vite dans la rue aussitôt après l’explosion, dire en français : « il est né heureux ; ce n’est pas lui, c’est malheureux ».
  3. Archives nationales F7 3702.
  4. Archives nationales, id. loc.