Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/161

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tant n’en avait pas besoin, contre le ministre ami des terroristes, allié des assassins. Fouché avait laissé passer l’orage, gardant au fond de lui-même la certitude que le coup venait, non pas de gauche, mais de droite. Il savait que Cadoudal, alors à Londres, avait envoyé en France, après l’échec du « comité anglais », quelques hommes prêts à toutes les besognes.

Ses agents les avaient suivis, puis perdus : l’attentat devait être leur œuvre. Sans se laisser prendre aux manœuvres des royalistes, qui ne cessaient de s’élever avec horreur contre les assassins[1], il dirigea dès lors toutes ses recherches vers leur parti, et, en quelques jours, il acquit la certitude qu’il ne s’était pas trompé. Pendant qu’il dirigeait ses propres agents sur la bonne piste, le préfet de police Dubois s’apercevait, lui aussi, qu’il avait eu tort de suivre, au premier moment, le courant qui portait à déclarer coupables « les hommes de septembre ». Cette évolution se retrouve dans les bulletins. Celui du 11 nivôse est, à ce sujet, particulièrement intéressant. « Les renseignements qu’on recueille chaque jour, y lit-on, sur les diverses circonstances qui ont rapport à l’attentat du 3 ne semblent pas suffisants pour juger à quelle faction ce crime doit être attribué. Les vœux et les intérêts des cours de Mittau et de Londres pour le succès d’un pareil attentat ne sont point équivoques ; les affreuses intentions des agents de l’Angleterre, d’une part, et des anarchistes, de l’autre, pour son exécution, sont connues par des faits antérieurs et authentiques. Les signalements des coupables, quoique non encore appliqués individuellement, jettent bien quelques faibles lueurs. Le costume de tous, leur langage, peut-être même, pourrait-on ajouter, le jeune âge de deux des directeurs de ce forfait, donnent cours au soupçon sur des hommes dont le bras est vendu depuis longtemps à l’Angleterre. Les procédés des exclusifs ont ordinairement un caractère moins ténébreux, plus sectionnaire, si l’on peut s’exprimer ainsi. Les artisans du forfait n’avaient aucun outil. Ils ont demandé un entonnoir à emprunter, et, à défaut, se sont servis d’une tasse qui leur a été prêtée pour emplir de poudre leurs tonneaux. Ils ont demandé une tarière au cocher Thomas pour percer un trou dans les timons de la charrette, et c’est ce même Thomas qui a percé ces trous. Des hommes du parti exclusif n’auraient point manqué de tous ces ustensiles et auraient su s’en servir ; peut-être même aussi, sans courir les risques d’une location dans une maison étrangère, eussent-ils, ainsi que l’a fait Chevalier, trouvé dans une maison appartenant à l’un d’eux, un local qui les exposât moins à la curiosité et aux dangers d’être surpris, dangers bien évidents, car la femme du cocher Thomas a déclaré qu’elle les a pris pour des fraudeurs ou des chauffeurs[2]. » Le 18 nivôse an IX (8 janvier 1801), le rapport de police dit enfin nettement que c’est aux royalistes qu’il faut attribuer l’attentat du 3

  1. Bourmont écrivit au premier consul, Hyde de Neuville lui adressa un mémoire. Louis XVIII félicita Bonaparte d’avoir échappé aux assassins.
  2. Archives Nationales, F7, 3702.