Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réussit. Hélas, les paysans qui soutinrent, en 1789 et 1793 la bienfaisante révolution politique des bourgeois uniquement parce qu’ils espéraient qu’elle serait sociale pour eux, se trouvèrent finalement dupés et trahis par la bourgeoisie comme l’avaient été leurs ancêtres, les Jacques, par Étienne Marcel, comme les volontaires de la République furent ensuite volés du milliard des biens des émigrés qu’on leur avait promis. » Cette révolution, que les salariés agricoles espéraient sociale, était attendue sociale aussi par les salariés des villes ; or ce fut pour eux l’échec sur toute la ligne. Ils demeurent, après avoir hissé la bourgeoisie plus haut sur l’échelle de la Société, les ouvriers exténués et découragés d’un changement politique qui ne leur rapporte rien.

Babeuf et les Égaux avaient tenté le suprême effort et donné au labeur du prolétariat, à ses actes prodigieux, d’abord impulsifs et quasi aveugles, puis de plus en plus conscients du but à atteindre, le programme merveilleux de netteté renfermé dans les 15 articles de l’Analyse de la doctrine de Babeuf. Selon le mot de Malon[1], les égaux étaient allés à l’âme du peuple en lui disant : « La Révolution victorieuse des rois, des nobles et des prêtres n’est pas finie, elle ne le sera que lorsqu’elle aura assuré, par l’organisation du travail, la juste répartition des produits de tous les membres de la société ». Mais les nouveaux conservateurs avaient eu tôt fait de supprimer Babeuf et le prolétariat terminait dans une lamentable misère sa marche détournée de la juste voie vers l’idéal de la révolution sociale. Et pourtant on avait inscrit dans les déclarations une liberté que réclamait la classe salariée : la liberté du travail. Mais c’était là un leurre puisqu’aucune garantie n’était mise à la disposition de l’employé à l’égard de son employeur, puisque la coalition entre gens de même métier était sévèrement interdite et que, par conséquent, il n’y avait point de moyen économique qui permît à l’ouvrier, au travailleur, de contrebalancer la toute-puissance de celui qui l’employait. Liberté de travailler aux conditions imposées ou alors liberté de mourir de faim ! Voilà à quoi se réduisait la victoire sociale du prolétariat qui avait fait la Révolution. Il avait vu pour cela tomber ses fils et assistait maintenant, misérable et dégoûté, à toutes les compétitions et désirait en somme surtout une chose, la paix à l’intérieur, pour retrouver ses forces et travailler, avoir du pain.

C’est ainsi que nous en arrivons à constater que le prolétariat dupé épuisé, ne demande, lui aussi, qu’une chose : la restauration de l’ordre. Quand la chaumière se vide et que le pain manque, l’ouvrier qui combat pour améliorer son sort doit abandonner la lutte pour retrouver des forces qui seront nécessaires à un jour prochain. Ainsi la classe salariée dut aspirer au repos qui donnerait du travail et assurerait, le pain de chaque jour.

Et puis, un nouveau sentiment est né dans la foule des humbles et fera

  1. Lundis social. dans Rév. Soc. 1892, I, p. 674.