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TITRE V
De la juridiction.

Art. 19. — Toutes les affaires de simple police entre les ouvriers et apprentis, les manufacturiers, fabricants et artisans seront portées à Paris devant le Préfet de police, devant les commissaires généraux de police dans les villes où il y en a d’établis, et, dans les autres villes, devant les maires ou un des adjoints. — Ils prononceront sans appel ou sans rejet les peines applicables aux divers cas selon le Code de police municipale. — Si l’affaire est du ressort des tribunaux de police correctionnelle ou criminelle, ils pourront ordonner l’arrestation provisoire des prévenus et les faire traduire devant le magistrat de sûreté.

Art. 20. — Les autres contestations seront portées devant les tribunaux auxquels la connaissance en est attribuée par les lois.

Art. 21. — En quelque lieu que réside l’ouvrier, la juridiction sera déterminée par le lieu de la situation des manufactures ou ateliers dans lesquels l’ouvrier aura pris du travail.

Ce qui ressort essentiellement de ce texte, c’est la volonté ferme, précise de créer dans la société deux classes absolument distinctes : patronat, salariés. Et si l’on veut se souvenir des idées générales qui nous ont guidées, il est aisé de constater que la législation ouvrière, industrielle, mise au jour sous l’influence de Bonaparte a pour but de favoriser la bourgeoisie, de l’installer solidement au-dessus du prolétariat. Les ouvriers sont, pour ainsi dire, fixés, parqués dans la Nation. Ils ne demanderont pas d’augmentation de salaire à leurs patrons, ils ne les quitteront pas, ils ne feront rien modifier dans la situation établie. S’ils remuent, ils se heurtent à la police ! Préfet de police, commissaires généraux, voilà leurs juges ! Et, hâtons-nous de le dire, avec le Code Napoléon (art. 1781)[1] pour toutes contestations portant sur les salaires, sur les gages ou les acomptes, le « maître est cru sur son affirmation » ! Bonaparte a peur des ouvriers qu’il enferme dans une classe et il met, entre eux et sa société bourgeoise, des barrières. C’est la prison qui attend les grévistes et on ne manqua pas de l’appliquer chaque fois qu’une rare « coalition » se produisit. En vendémiaire an XI, il y eut à Tarascon[2], au commencement des vendanges, une tentative de grève des ouvriers agricoles désireux de faire hausser le prix des journées. La garnison fut aussitôt mobilisée, armée, et, devant l’attitude des troupes, les ouvriers durent abandonner toute revendication : ils savaient les fusils prêts à partir. À Agen, l’année suivante, ce fut mieux encore ; les garçons boulangers avaient résolu de cesser le travail pour obliger leurs patrons à les mieux payer. Comme ils s’étaient réunis dans une maison pour discuter sur le moment où ils décla-

  1. Texte abrogé par la loi du 2 août 1868.
  2. Archives Nationales F7 3703.