Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/249

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Ainsi la police hésitait à poursuivre l’application de son ordonnance, et il est probable qu’elle craignait un mouvement ouvrier général si elle cédait aux diverses demandes des patrons, car les ouvriers grévistes ne faiblissaient pas autant que les entrepreneurs croyaient, et il fallut encore et toujours arrêter. « Les ouvriers qui ont quitté leurs travaux, disait un rapport de la police secrète, sont tranquilles. Il n’y a aucun rassemblement. Plusieurs reprennent leurs occupations au Louvre, au Panthéon, ou à la Grande Chancellerie d’Honneur, aux Sourds-Muets et autres. On surveille avec soin les cabaleurs. Ceux qui viennent dans les ateliers pour débaucher ceux qui travaillent sont suivis à leurs domiciles et arrêtés dans leurs lits (sic). » Le 10 octobre, Lacretelle écrit : « Les ateliers des travaux publics sont toujours déserts. Les ouvriers s’étaient réunis ce matin, au nombre de 6 à 700, sur la place de Grève, pour se louer à d’autres entrepreneurs suivant l’usage. L’ordre a été maintenu, mais on a aperçu un peu plus d’aigreur dans leurs dispositions que les jours précédents. La question qu’on se fait généralement est celle-ci : Eh bien, les ouvriers ne travaillent donc pas encore aujourd’hui ? » Cependant la crise se termina par la reconnaissance du droit des ouvriers à goûter, et par le refus opposé par la police aux patrons, soit d’étendre l’application de l’ordonnance en dehors de Paris, soit même de la généraliser à tous les corps de métiers. Les ouvriers en bâtiment reprirent le travail à partir du 13 octobre, en déjeunant de 10 heures à 11 heures, et en goûtant sur place de 2 h. 1/2 à 3 heures. Ainsi se termina cette grève d’ouvriers du gouvernement, qui parvinrent en somme à obtenir en partie ce qu’ils désiraient par la simple coalition de leurs efforts individuels et leur persistance dans leurs réclamations. Cet exemple, répétons-le, est rare dans l’histoire du Consulat et de l’Empire, et il suffirait d’étudier le mouvement qui, en 1807, porta les tailleurs de pierres de Paris à demander une augmentation de salaire de 15 sous, pour voir que l’entente ne se faisait pas facilement entre travailleurs. La tentative de mars 1807 échoua[1]. Du reste, les pouvoirs publics étaient absolument décidés à ne laisser se former aucun groupe ouvrier, aucun centre. L’ouvrier doit rester isolé, la classe ouvrière doit demeurer en dessous, en dehors des autres classes sociales.

L’organisation toute bourgeoise des chambres consultatives, instituées par la loi du 22 germinal an XI, fut mise en lumière par un arrêté de thermidor[2] qui indiqua leurs composition et attributions. Chacune devait comprendre six membres, six patrons ou anciens patrons, élus par 20 ou 30 des fabricants et manufacturiers les plus distingués par l’importance de leurs établissements. C’est le maire ou le préfet qui devait présider les travaux de chaque chambre et veiller à son fonctionnement. Les chambres avaient mission de soumettre au sous-préfet de leur arrondissement des projets

  1. Archives nationales F7 3712
  2. Arrêté du 10 thermidor an XI. Archives nationales APiv, plaq. 565, n° 66.