Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autour du palais royal que Charles IV, pour sauver ses jours, crut opportun d’abdiquer le 19 mars en faveur de son « bien aimé fils », proclamé roi sous le nom de Ferdinand VII. Et le malheureux peuple espagnol applaudit, s’imaginant la patrie sauvée !

L’illusion fut courte.

Quelques jours après, en effet, Murat faisait son entrée à Madrid, refusant de reconnaître le nouveau roi : les moins perspicaces purent alors prévoir que Napoléon ne tarderait plus à mettre officiellement la main sur ce trône.

Pour arriver à ses fins, l’Empereur résolut d’employer les plus astucieux procédés et trouva en Murat et en Savary deux agents perfides à souhait : le premier devait s’efforcer de créer un mouvement d’opinion en faveur de la France : « Montrez au peuple, aux magistrats, aux bourgeois prescrivait Napoléon, l’état de tranquillité et d’aisance dont la France jouit sous mon règne, malgré les guerres où elle est toujours engagée ; montrez-leur les avantages qu’ils pourraient retirer d’une régénération politique, c’est-à-dire tâchez de les amener à demander eux-mêmes un souverain à la France. »

De son côté, Savary devait mettre sa rouerie au service d’une mission plus délicate encore et qui consistait à attirer Charles IV et Ferdinand VII dans le traquenard organisé à Bayonne.

À Ferdinand VII, Savary promit que l’Empereur, en le voyant, n’hésiterait pas à le reconnaître comme roi d’Espagne et le jeune prince n’hésita pas à passer la Bidassoa pour se présenter au château de Massac où Napoléon avait établi sa résidence et où il fut reçu non en roi, comme il l’espérait, mais en prince des Asturies.

Quant à Charles IV et à sa femme, il ne fut pas malaisé de les attirer au piège ; eux-mêmes demandaient à venir à Bayonne pour plaider leur cause et ils arrivèrent le 30 avril 1808 au palais qui leur avait été préparé.

Dès lors, Napoléon tenait dans ses serres d’oiseau de proie toute la famille royale, il ne devait pas les laisser échapper. Tout de suite, d’ailleurs, il jeta bas le masque et proclama énergiquement ses intentions de déposséder de la couronne les Bourbons d’Espagne.

Nous ne pouvons entrer dans le détail des intrigues qui se jouèrent entre ces augustes personnages, rivalisant les uns et les autres d’infamie et de bassesse. Pourtant Ferdinand VII, sommé de céder ses droits au trône, résistait avec opiniâtreté ; il fallut, pour obtenir sa signature, organiser une dernière scène plus odieuse et plus tragique que toutes les précédentes.

Un soulèvement qui se produisit à Madrid le 2 mai fournit du même coup à Murat l’occasion d’assouvir sa furie sanguinaire (les Madrilènes furent par centaines exécutés sans jugement, pendant la nuit), à Napoléon le prétexte cherché pour brusquer les événements.