Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/408

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répondre aux espérances de Napoléon, refusa non seulement de traiter, mais ordonna immédiatement à des troupes revenues de Finlande de se joindre à Wittgenstein posté sur la Bérésina pour la retraite de la Grande Armée. La situation empirait donc rapidement ; le séjour à Moscou avait eu pour nos troupes d’effroyables conséquences, la cavalerie était démontée, les chevaux ayant succombé faute de fourrages. Il devenait dont impossible, dans la retraite, de répondre aux incursions inopinées de la cavalerie russe, et d’emmener les canons français, ceux pris à l’ennemi, les chariots de butin, de vivres ou de munitions. Cependant, l’obligation de sortir de Moscou était inéluctable : séjourner plus longtemps dans une ville démantelée, épuisée, mal ravitaillée, autour de laquelle se resserraient chaque jour les armées ennemies, apparaissait comme une criminelle folie. Il fallait à tout prix éviter un désastre et regagner l’occident ; Napoléon comprenant enfin, malgré son prodigieux orgueil, qu’il lui était désormais impossible de triompher des Russes et de leur imposer la paix, devinant aussi toute l’étendue du péril que faisaient courir à ses troupes décimées les retards causés par son inaction, résolut d’opérer la retraite.

L’empereur demeurait fort perplexe. Ce départ de Moscou était un coup irrémédiable porté à son prestige ; et les marches rétrogrades de ses vieilles troupes accoutumées à la victoire lui paraissaient, avec raison, d’une exécution périlleuse. Pour atténuer les dangers d’une retraite en plein cœur d’un pays que l’hiver commençait à dénuder, Napoléon décida que la Grande Armée traverserait les provinces méridionales susceptibles, celles-là, de fournir aux troupes des ressources que l’on eût bien vainement tenté de découvrir ailleurs. Koutouzof, dont les corps bien organisés recevaient à tout instant de nouveaux renforts, suivait les moindres mouvements de nos troupes. Dès qu’il se fut rendu compte que les opérations de la retraite commençaient à s’exécuter, il attaqua brusquement, et au mépris des conventions de l’armistice, la cavalerie de Murat à laquelle il fit essuyer ainsi de grosses pertes. Cet échec affecta vivement Napoléon : il n’était cependant que le présage d’irréparables malheurs.

Le 19 novembre, les 100 000 hommes de la Grande Armée évacuèrent Moscou, traînant à leur suite un singulier et interminable cortège de voitures de butin, de carrioles hétéroclites où s’entassaient tant bien que mal acteurs et traînards, aventuriers et prostituées, tous fort peu soucieux d’attendre sans défense le retour des Russes dans leur capitale ruinée. Quatre jours après, par les soins de Mortier se conformant en cela aux ordres laissés par Napoléon, la vieille forteresse du Kremlin sautait, ensevelissant dans ses décombres les plus précieux souvenirs de l’ancienne monarchie russe.

Le 24, à Malo-Jaroslavetz, dès l’aube, Koutouzof, quittant ses retranchements, attaqua inopinément nos troupes. La mêlée fut effroyable : de part et d’autre, on prit et reprit plusieurs fois la ville en flammes, il n’y eut pas