Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/426

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dans ce pays, ce serait l’étincelle qui embraserait toute l’Allemagne.

Le mécontentement et l’exaspération des esprits, dans les pays d’outre-Rhin, asservis et presque ruinés par l’inique tyrannie de la domination française, ne se répandaient pas seulement en manifestations publiques. Spontanément, des révoltes individuelles s’associaient, se groupaient, mêlaient à leurs espérances collectives et si légitimes des esprits incertains ou timides. C’est ainsi que se formèrent de très nombreuses sociétés secrètes au sein desquelles on mûrissait les projets de délivrance nationale ; la plus célèbre de ces associations politiques fut assurément le Tugendbund, dont les ramifications étaient innombrables et qui comptait des adhérents partout.

Il n’est pas inutile, à propos du début de l’agitation nationale en Prusse de rappeler que, déjà en 1800, Jérôme Bonaparte, placé par Napoléon sur le trône de Westphalie, exprimait les inquiétudes que lui causait, avec raison, l’effervescence du sentiment national de ce peuple. Napoléon, selon son habitude, répondait aux objurgations de son frère par des assurances de tranquillité que les événements devaient, peu de temps après, cruellement démentir, puisque Jérôme, en 1809 et en 1810, eut à déjouer les complots et les soulèvements qu’avaient fomentés Katt, Doernberg et ce fameux Schill dont le fougueux Arndt fit, sans hésiter, un héros de bravoure et d’intrépidité.

Il fallut peu de temps, en 1813, pour que la Prusse devînt le théâtre d’une révolte intellectuelle unanime ; nous signalions à l’instant la puissante influence des sociétés secrètes à cette époque ; il faudrait pouvoir s’étendre aussi sur le rôle joué, dans cette conflagration générale des esprits, par les universités, et, en particulier, par celles d’Iéna, de Greifswald et de Berlin, où professaient des maîtres illustres dont l’enseignement était tout vibrant de patriotisme. Parmi ceux-ci, Humboldt et Schlegel sont, je crois, les plus justement célèbres.

Dans le même temps où le baron de Stein et le ministre Scharnhorst, sur le rôle desquels nous aurons bientôt à revenir, déployaient, l’un dans la réorganisation de l’administration et du pouvoir central, l’autre dans l’exécution d’un programme de réformes militaires remarquables, une intelligence et un zèle en tous points excellents, Frédéric-Guillaume fondait, en 1810, l’Université de Berlin qui devait, à l’heure de la lutte suprême, exercer une influence prépondérante sur l’esprit de ceux qui venaient se nourrir de ses enseignements. Il va sans dire que des penseurs éclairés, des hommes d’un goût sûr et d’un patriotisme intelligent avaient puissamment contribué à cette initiative d’un souverain jusque-là si timoré et fort hostile à certains libéralismes. Guillaume de Humboldt, que nous citions tout à l’heure, fut, durant la période d’élaboration de cette grande création, l’un des conseillers les plus avisés du roi. Fichte, qu’il faut tenir avec Schelling et Hegel pour le meilleur des disciples de Kant, fut promu recteur de l’université où l’on