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ritoire. Vos souverains nés sur le trône peuvent se laisser battre vingt fois et rentrer toujours dans leurs capitales. Moi, je ne le puis pas, parce que je suis un soldat parvenu… J’ai grandi sur les champs de bataille et un homme comme moi se soucie peu de la vie d’un million d’hommes. »[1]

L’argumentation courtoise et pressante de Metternich n’obtint point gain de cause ce jour-là. Napoléon semblait incapable de maîtriser l’emportement que suscitait en lui cette assurance que les alliés le redoutaient moins qu’au temps d’Iéna. Cette première entrevue n’eut donc aucun résultat ; elle fut suivie cependant, deux jours après, d’une nouvelle rencontre au cours de laquelle l’empereur parut se rendre aux vœux pacificateurs de Metternich et négocia un nouvel armistice jusqu’au 10 août ; il s’engagea en outre à envoyer des représentants au congrès de Prague dans lequel l’Autriche devait à nouveau intervenir pour le règlement de la situation européenne. Si de telles intentions semblaient témoigner d’un désir loyal d’en finir avec l’épouvantable désordre des mêlées perpétuelles, les secrets desseins de Napoléon ne s’y rapportaient guère. En s’efforçant d’obtenir la prolongation de l’armistice, il n’avait, bien entendu, songé qu’au moyen de compléter ses effectifs et d’accroître les ressources de son offensive.

Le congrès de Prague s’ouvrit le 5 juillet 1813 ; la France y était représentée par Caulaincourt et Narbonne qui avaient reçu de l’empereur des ordres qu’il faut tenir pour insensés ou lamentables, tant ils affichent de mépris pour une situation dont les périlleuses conséquences nous préparaient déjà d’irréparables calamités. L’illustre Humboldt représentait à Prague la Prusse, et Anstetten, ancien émigré français, la Russie. Après d’inutiles et trop nombreuses controverses visant des formalités diplomatiques d’une bien médiocre efficacité, les congressistes se décidèrent à aborder la discussion des propositions autrichiennes que l’on peut résumer ainsi : abolition du grand-duché de Varsovie qui devait être divisé au profit de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, autonomie des villes hanséatiques, cession des provinces illyriennes, abandon de tous les droits français sur la Hollande et l’Espagne, rétablissement de l’indépendance des territoires prussiens, dissolution de la Confédération du Rhin et de la Confédération helvétique.

Comme on peut facilement s’en rendre compte, le patrimoine des conquêtes acquises à la France était encore singulièrement étendu, puisqu’il comprenait l’Italie avec Rome et Naples, la Belgique et les frontières du Rhin. C’étaient assurément là des concessions dans une certaine mesure inespérées, consenties par égard au prestige que nos victoires gardaient encore en Europe. Elles ne devaient pas, hélas ! ramener Napoléon à des conceptions plus raisonnables et lui faire envisager les bienfaits d’une situation assurant à la France le bénéfice de conquêtes stables et indiscutées ; Metternich d’ailleurs, qui pressentait avec une rare finesse le dénouement final des

  1. Entrevue de Napoléon et Metternich, à Dresde, citée par H. Vast, p. 830.