Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/470

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deur de France à Saint-Pétersbourg fut aussitôt chargé d’entamer des négociations. La cour de Russie accueillit les ouvertures de notre ambassadeur avec courtoisie, mais fit attendre sa réponse, posa des conditions, si bien que Napoléon, humilié de tant de tergiversations, se retourna brusquement vers François d’Autriche, qui accueillit avec empressement l’ambassadeur extraordinaire, Berthier, prince de Neufchâtel, arrivé en toute hâte pour présenter la demande officielle.

Quant aux démarches officieuses qui précédèrent, elles avaient été faites — la chose est d’une originalité trop curieuse pour être passée sous silence — par la divorcée de la veille, par Joséphine en personne ! M. Arthur Lévy, auteur de Napoléon intime, l’établit par une pièce irrécusable. Laissons-lui la parole :

« Un mois à peine après le divorce, dit-il, Joséphine, secondée par sa fille Hortense, faisait à Mme de Metternich des ouvertures en vue d’un mariage possible entre Napoléon et l’archiduchesse d’Autriche, et ce fut avec l’ex-impératrice que se continuèrent les négociations. La preuve de ce que nous avançons est officielle et irrécusable ; elle est dans les instructions envoyées de Vienne par le prince de Metternich à l’ambassadeur d’Autriche à Paris. Nous y laissons ceci : « L’ouverture la plus prononcée ayant été faite par l’impératrice Joséphine et la reine de Hollande par Mme de Metternich, Sa Majesté l’empereur d’Autriche n’en croit pas moins suivre cette voie nullement officielle et, par conséquent, moins compromettante, pour faire parvenir sans fard ses véritables intentions à la connaissance de l’empereur Napoléon. »

Une intervention si inattendue ne pouvait manquer d’être efficace, et on procéda sans retard aux cérémonies du mariage par procuration, qui eut lieu à Vienne, le 11 mars 1810.

Nous ne saurions nous attarder dans le détail ni des incidents pourtant assez drolatiques qui suivirent, ni des scènes assez piquantes, où Napoléon montra un tel empressement à préparer pour la France un héritier à sa couronne, qu’il n’attendit point, pour pénétrer dans la chambre de Marie-Louise, rougissante et confuse, la consécration définitive du mariage civil, fixée au 1er avril. Les tapis de Compiègne, témoins indiscrets de la première entrevue, durent pousser, dès cette nuit du 28 mars 1810, les exclamations de joyeux étonnement que recueillit plus tard un poète contemporain.

Pour la seconde fois, en moins de quarante ans, le peuple de France voyait ainsi une « Autrichienne » installée sur le trône ; après Marie-Antoinette, Marie-Louise, aussi peu dignes l’une que l’autre de sympathie et d’estime. L’histoire fut impitoyable pour la première ; elle ne saurait être moins sévère pour la seconde qui, suivant une expression forte, fut également au-dessous de sa prospérité et au-dessous de ses malheurs. Épouse sans cœur, mère sans tendresse, impératrice sans dignité, elle ne fut jamais qu’une