Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
La France est à genoux.

Quel immense concours assiège ces portiques !
Ministres du Seigneur, redoublez vos cantiques,

Ô temples, agrandissez-vous !


Esménard farde sa muse et s’écrie sottement :

Voici que dans les airs, sur la ville étonnée,
Deux aigles font voler le char de l’hyménée :
La Victoire et l’Amour, s’y tenant par la main,
Veillent sur un berceau, espoir du genre humain !

Un chansonnier écrit ce couplet stupide qui déshonorerait un mirliton :

Y allons boire à la santé
De Fanfan, l’espoir de la France
Et chantons à l’unisson :
Vive Louise et Napoléon !

Mais que furent ces pitoyables rimes auprès des harangues officielles ! Le 21 mars, tous les membres du Sénat, du Conseil d’État furent introduits dans la chambre du nouveau-né et s’inclinèrent jusqu’à terre devant le marmot vagissant. Le président du Sénat et l’ancien girondin Defermon adressèrent même des discours à ce bébé d’un jour : et c’est la gouvernante, Mme de Montesquiou, qui répondit au nom de l’impérial poupon.

On avait à cette époque perdu jusqu’au sens du ridicule.

Le Corps législatif n’eut, comme bien on pense, aucune difficulté à se mettre à l’unisson : à la séance d’ouverture, son président Montagnon proclama que « la France n’avait qu’un sentiment au cœur, celui du bonheur de son maître, bonheur cimenté par la naissance du prince impérial ». Puis une députation de vingt-cinq membres composée du président, des deux vice-présidents, de deux questeurs et de vingt législateurs fut chargée d’aller offrir à Sa Majesté le roi de Rome l’hommage du respect, de l’amour, de la fidélité du Corps législatif.

Pourtant, malgré toutes ces flagorneries des corps constitués, malgré le faste des fêtes officielles qui se succédaient à Trianon où l’on singeait les usages de la vieille monarchie, l’opinion publique restait nerveuse et inquiète, tant elle sentait prochaine, inévitable, imminente, une guerre avec la Russie. Nous avons vu combien était légitime une pareille appréhension.

Mais nous avons trop souvent parlé jusqu’ici de cette « opinion publique », malgré tout clairvoyante, pour ne pas expliquer pourquoi elle fut si complètement impuissante à influencer, d’une manière quelconque, la marche des événements. Et cela nous conduit à dire quelques mots du régime tyrannique institué par Napoléon.