Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/477

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C’est même le Conseil d’État qu’il choisit pour confident sur ce point : il s’exprime ainsi dans une séance de 1807 :

« La société ne doit que la mort à quiconque s’arme pour la déchirer. L’imprimerie est un arsenal qu’il importe de ne pas mettre à la portée de tout le monde… Il m’importe beaucoup que ceux-là seuls puissent imprimer qui ont la confiance du gouvernement. Celui qui parle au public par l’impression est comme celui qui parle dans une assemblée, et certes, personne ne contestera au souverain le droit d’empêcher que le premier venu harangue le peuple… »

L’effet de semblables dispositions ne se fit pas attendre : un décret du 5 février 1810 institua un directeur général de l’imprimerie. En vertu de ce décret, tout imprimeur ou tout libraire dut être muni d’un brevet et assermenté. Le nombre des imprimeurs fut fixé dans chaque département ; à Paris, on le réduisit à soixante. Nul ne put être admis au brevet et au serment d’imprimeur ou de libraire qu’après avoir justifié de son attachement à la police et au souverain. Tout imprimeur était tenu d’inscrire, par ordre de date, sur un livre coté et paraphé par l’administration, le titre et le nom de l’auteur de chaque livre qu’il avait l’intention d’imprimer. Le directeur général pouvait ordonner, si bon lui semblait, la communication et l’examen de l’ouvrage. Sur le rapport de censeurs choisis par lui, il indiquait à l’auteur les changements ou suppressions jugées convenables, et, sur le refus des auteurs de consentir à ces changements ou à ces suppressions, il pouvait ordonner la saisie des feuilles imprimées. Tout cela sans préjudice des poursuites et peines judiciaires dans le cas où, par aventure, un livre mal pensant aurait échappé aux investigations administratives.

La moindre infraction à cette législation draconienne pouvait entraîner, pour l’imprimeur ou le libraire, le retrait du brevet, c’est-à-dire la ruine.

Voilà pour la liberté de penser manifestée par le livre !

Contre la liberté de la presse, les mesures restrictives se succèdent avec une violence inouïe. « Si je lâche la bride à la presse, dit un jour Napoléon, je ne resterai pas trois mois au pouvoir. » Il ne lâcha pas la bride à la presse : il lui mit un bâillon.

Sous le Consulat déjà, la censure des journaux fut instituée, leur nombre réduit à 14 pour Paris, sous prétexte qu’ils étaient « des ennemis de la République ». Au début de l’Empire, il n’y avait plus à Paris que quatre journaux quasi-indépendants : le Citoyen, le Mercure de France, le Journal des Débats et le Publiciste. Quelques citations vont nous permettre de juger sans retard du sort qui leur était réservé[1].

D’abord une note qui concerne le Journal des Débats :

« On a le droit d’exiger qu’ils (les journaux) soient entièrement dévoués à la dynastie régnante et qu’ils combattent tout ce qui tendrait à donner de

  1. Voir Welschinger, La censure sous Napoléon.