Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/531

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dans les villes, le nombre est plus que le double de ce qu’il était sous le régime des corporations, il n’est donc pas étonnant que la population se soit accrue. Si, à cette cause puissante de l’accroissement de la population, on ajoute la diminution de la mortalité que produit la vaccine, la division de la grande propriété rurale et les nombreux mariages qu’on a contractés pour se soustraire à la conscription, on réunira tous les éléments qui concernent la solution de ce problème. »

Les causes ainsi définies par Chaptal ont manifestement leur importance, et la dernière peut être appuyée par des chiffres certains : le désir d’échapper à la conscription poussa effectivement beaucoup de jeunes gens à se marier, en 1813 surtout, et le chiffre des naissances monta l’année suivante à 994 082 au lieu de 883 000 en 1812. Mais la phrase précitée du rapport ministériel n’en complète pas moins de façon décisive les observations de Chaptal, et nous pouvons considérer comme probable, certain même, que les usines étaient largement alimentées par la main-d’œuvre étrangère.

Dans quelle proportion ? Nous ne le savons point, et il ne faut pas demander beaucoup aux statistiques impériales ? Celles qui existent sont plus que suspectes, étant donné que les registres de l’état-civil furent, volontairement sans doute, laissés très incomplets. C’est ainsi que, quand nous parlons de l’augmentation de la population, il faut encore faire des réserves, tant il est manifeste que le chiffre officiel des décès est fort au-dessous de la réalité. Il est incontestable que, de 1806 à 1812, la guerre a fait une prodigieuse consommation d’hommes, et cependant les registres de l’état-civil n’en portent aucune trace ; on voit même que l’année où il y a le moins de décès inscrits est l’année 1810, l’année des guerres d’Espagne, d’Autriche, de Wagram, qui seul coûta 25 000 morts à chacune des deux armées. D’où il faut conclure, avec M. Levasseur, que les décès des soldats morts à l’étranger n’étaient pas régulièrement enregistrés en France.

Mais revenons, après cette courte digression, à l’étude de la situation industrielle et commerciale de la France que Chaptal présente comme si prospère.

Un document nous a déjà montré combien cet optimisme était exagéré. Les Archives nationales nous en fournissent d’autres plus décisifs encore.

Voici un long rapport émanant du ministère de la Police générale et daté de 1811. On excusera la longueur de la citation par l’intérêt du document qui montre de façon irréfutable les résultats détestables de la politique napoléonienne et de ce blocus continental, dont nous avons déjà, au début de notre travail, montré les désastreuses conséquences politiques et économiques.