Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/602

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ment en avant ; des carrés de la garde sont enfoncés ou anéantis ; Napoléon court à la tête de ses troupes et, au mépris des balles qui sifflent à ses oreilles, se bat comme un lion ; sous l’élan d’une héroïque folie, il se tient au plus fort de l’action et stimule les énergies défaillantes de ceux qui présagent déjà le désastre. La tuerie recommence le lendemain ; force est aux Français de repasser l’Aube, tandis que les canons de Schwartzenberg jettent sur eux une pluie meurtrière de boulets.

Néanmoins, la résistance des Français, leur intrépidité et la rapidité avec laquelle ils avaient, depuis le début de la campagne, renouvelé leurs attaques au lendemain même de leurs échecs, en avaient imposé aux alliés. Leur supériorité en nombre n’était pas même de nature à les affermir dans leurs desseins. On le vit bien lors du conseil de guerre réuni à l’instigation de Schwartzenberg après le combat d’Arcis-sur-Aube. Il semble qu’à cette conférence se soient fait jour les sentiments véritables des alliés à l’égard de Napoléon ; comme ceux-ci venaient d’être informés de l’occupation de Saint-Dizier par l’empereur et de ses desseins de jonction avec les garnisons des places fortes, il y en eut parmi eux qui proposèrent, tant l’issue de la campagne leur semblait en ce moment douteuse, la retraite sur Dijon et la frontière. Ce sentiment par trop timoré ne prévalut point, et les alliés furent contraints d’approuver le plan hardi et ingénieux que venait d’élaborer le czar Alexandre, Perdant le contact avec Napoléon, et laissant à Wintzingerode le soin de le suivre avec une petite troupe, les alliés, refusant ainsi à l’empereur la seule chance de salut qui lui restât, prononcèrent vigoureusement leur mouvement sur Paris ; l’armée de Blücher et celle de Schwartzenberg marchaient parallèlement. L’invasion allait désormais écraser tous les obstacles grâce à l’initiative hardie et périlleuse du czar.

Marmont et Mortier, qui s’efforçaient, obéissant en cela aux ordres de Napoléon, de joindre les troupes impériales, se heurtèrent, à Fère-Champenoise, le 25 mars, aux alliés ; il ne leur avait pas été possible d’éviter le combat, débordés de toutes parts par les masses ennemies. Les Français, dont l’effectif total ne dépassait guère 16 000 hommes, soutinrent le combat avec une incroyable énergie ; ils purent se replier sur Paris sans trop de pertes, grâce à l’intrépide intervention du général Pacthod, commandant de plusieurs divisions de la garde nationale, qui attira sur ses troupes le feu des régiments de Blücher. Cette nouvelle rencontre, si imprévue, surpassa en sanglants héroïsmes tout ce qu’on avait souffert et connu jusque là ; Pacthod et ses soldats, un peu plus de 4 000 hommes, après avoir pris vigoureusement l’offensive contre l’avant-garde de l’armée de Silésie, furent entourés par l’ennemi, taillés en pièces et massacrés sans merci ; quelques centaines à peine purent, le soir venu se mettre hors de la portée des boulets ; tout le reste avait péri.

La route désormais s’ouvrait libre, et rien ne devait plus s’opposer à l’arrivée des alliés sous les murs de Paris.

Henri Turot.