Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/112

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de corps ou de place, les préfets qui avaient arboré le drapeau tricolore, 3o les régicides qui avaient accepté des places. Les deux premières catégories étaient poursuivies en vertu de l’article 87 du Code pénal, qui prévoit la mort — la troisième exposée à la déportation. Bien entendu, les biens des contumaces étaient séquestrés.

Le Gouvernement considérait avec une stupeur mêlée d’effroi ces exaltations qu’aucune concession ne pouvait calmer. Certes, le Gouvernement était composé de royalistes fervents. M. de Richelieu était un émigré. Mais tous avaient cependant cette impression que la Restauration, compromise par les excès, ne s’imposerait pas longtemps à un pays pour le moment meurtri et ruiné, mais qui, dès le réveil de son énergie endormie, soulèverait un jour ce poids d’iniquités. En luttant, avec l’assentiment du roi qui avait, lui aussi, la notion du péril, en luttant contre ces déchaînements qui n’avaient pas l’excuse de répondre ou à une agression récente, ou à un péril prochain. le ministère ne luttait pas pour la liberté ni même pour un vague libéralisme : il luttait pour détourner de l’institution royale les colères, pour capter les sympathies, pour ramener au pays le calme par l’oubli. En un mot, le véritable et sincère royalisme était représenté par ces hommes, et ce sont les passions bestiales de la droite qui, seules, le pouvaient compromettre.

L’émoi du pouvoir venait d’abord de la pensée que plus de 1 100 personnes comptant parmi les plus notoires, parmi celles qui s’étaient depuis rapprochées du trône, seraient frappées. Et sa situation particulière n’aurait pas manqué de prêter à rire en des moments moins troublés : un ministre était menacé, visé même par le projet, c’était M. Corvetto, ministre des finances, qui avait fait partie du Conseil d’État après le 20 mars ; un député, le duc de Gaëte, qui avait été ministre des finances aux Cent-Jours, et un membre de la Chambre des Pairs, M. Molé, lui aussi conseiller d’État de l’empereur, ce qui ne l’avait pas empêché de réclamer la mort du maréchal Ney, pour donner des gages sanglants de son nouveau servilisme.

M. de Richelieu tenta un coup d’audace : le lendemain de l’exécution du maréchal Ney, comme si cette mort devait clore l’ère des hécatombes, il présenta un projet : ce projet maintenait l’ordonnance du 24 juillet et, pour donner une satisfaction à la majorité, excluait de France les Bonaparte et leurs enfants. La commission nommée élut comme rapporteur M. Corbière, avocat à Rennes, érudit et ardent, ami inséparable de Villèle, et qui était un des chefs du mouvement déchaîné ! Naturellement, la commission accepta la proscription des Bonaparte, mais elle maintint les catégories prévues par M. de la Bourdonnaye.

Elle les maintint avec des nuances d’atténuation et de gravité : c’est ainsi qu’elle ne rendait responsables que les hommes qui avaient obéi à l’empereur avant le 23 mars et qu’elle prescrivait la confiscation des biens de tous les exilés. Comme on le va voir, c’est ce qui fit succomber une partie