Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/126

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dire qu’il ait été un courtisan, au sens vil de ce mot, ce mot désignant surtout ceux qui, sans valeur d’aucune sorte, s’élèvent pour ainsi dire en s’abaissant. Mais il avait vite vu ce qu’on pouvait tirer de ce roi débile dont l’esprit fatigué n’avait que de rapides éclairs. Des mains de M. d’Aravay, le roi était tombé aux mains de M. de Blacas, et c’est ce dernier, exilé magnifiquement à l’ambassade de Naples, que M. Decazes avait remplacé. Patient et résigné à la longueur des entretiens quelquefois moroses, causeur habile et documenté par son séjour au palais de l’impératrice mère et par son passage à la préfecture de police, satisfaisant les goûts un peu grivois du roi, il excellait à faire naître ces débats littéraires et politiques où une stratégie habile faisait de lui l’éternel vaincu et mettait en relief la supériorité royale. Louis XVIII ne pouvait se passer de lui. Et même M. Decazes, que les nécessités, de sa charge éloignaient quelquefois du roi, s’était fait suppléer auprès de lui par sa propre sœur, Mme Princeteau, femme d’un percepteur, venue de Libourne, dont la beauté et la douceur plurent au roi et qui serait devenue une favorite si ce métier n’impliquait une attitude que la dignité de la jeune femme répudia toujours.

M. Decazes se saisit vite et bien de l’immense influence que lui livrait le roi. Il l’assiégea de rapports, de récits, de communications, s’arrêtant, reprenant, bifurquant, réduisant à la lassitude cet esprit vieilli. En même temps il conquérait les ministres. M. Lainé finit par se rendre, lui aussi, irrité contre cette Chambre qui l’avait contraint à la démission. Puis M. Corvetto. Restait M. de Richelieu qu’effrayait cette dissolution, mais que le bruit du triomphe ultra-royaliste, dans le Midi, énerva. Quant aux trois autres, on les prévint et ils approuvèrent. Les alliés eux-mêmes — que M. Decazes les eût ou non avertis — étaient inquiets de la violence des hommes et redoutaient toujours quelque vote de cette Assemblée qui ne respectait pas les contrats passés et reniait la signature de la France vis-à-vis de ses créanciers. Enfin tout le monde tomba d’accord et le 5 septembre parut la célèbre ordonnance qui réduisait à 219 le nombre des députés, qui en son article 2 dissolvait la Chambre, convoquant les électeurs pour le 25 septembre et les députés pour le 4 novembre.

Cette ordonnance tomba comme la foudre sur les espérances bruyantes du parti ultra-royaliste, et il faut avoir sous les yeux les journaux de l’époque pour se rendre compte de la stupéfaction et de la colère qu’elle produisit. Le comte d’Artois, dont Louis XVIII redoutait les reproches, préféra, se défiant de sa propre violence, s’exiler à la chasse. Les autres royalistes, après être restés sans voix devant l’événement inattendu, se mirent en campagne. Ils prirent pour texte de leurs discours l’omnipotence ministérielle réduisant en captivité le roi dans son palais et il fallut que M. Decazes fît intervenir le roi pour que fût restitué à ce dernier l’acte vigoureux qu’il avait accompli. Malgré tout, les fonctionnaires hésitaient :