Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/134

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rhétorique évoquait les tombeaux, les abîmes, les gouffres, la révolution et l’anarchie, la loi fut admise par 96 voix contre 74. Il est juste de rappeler qu’un parvenu militaire, le maréchal Victor, sorti du rang, combattit la loi avec le duc de Doudeauville et le marquis de Boisgelin !

Cette loi était loin d’être démocratique ou égalitaire : elle gardait encore la tare funeste des régimes déchus qui est la tare du privilège, puisque, par le remplacement, elle laissait à la fortune le droit d’échapper au patriotisme qui, n’étant pas le sentiment des riches, devint le métier des pauvres. Mais elle réalisait un progrès sensible sur les lois en vigueur, et les prévisions aristocratiques ne s’étaient pas émues en vain. Elle devait durer jusqu’en 1871 au moins dans son organisme principal.

Mais à côté de cet effort, notable certes pour le temps, obéissant à des inspirations obscures, pénétrés de la pensée qu’il ne fallait accepter une réforme libérale qu’à la condition de présenter des lois rétrogrades, MM. Pasquier et Decazes songeaient à remanier la législation sur la presse, non pour l’alléger, mais pour l’obscurcir. La loi de 1815 sur la presse permettait de poursuivre même les écrits non imprimés ! M. Pasquier, en décembre 1817, maintenait cette loi en ce qui touchait la provocation au crime, et déclarait qu’on ne poursuivrait que les écrits rendus publics : c’était évidemment une atténuation. Seulement la thèse de M. Pasquier — et qui fut celle de la jurisprudence — sur les caractères de la publicité faisait de sa réforme une comédie : le dépôt opéré à la censure équivalait à la mise en circulation. Où était le profit et que signifiait cette modification ? La Chambre fit mauvais accueil à cette loi et trois oppositions se rencontrèrent pour la combattre : celle des ultras, celle des indépendants, celle de Royer-Collard et de ses amis. Elle perdit sa disposition principale, mais les opposants ne purent y faire pénétrer le jury — car ils n’étaient pas d’accord — les indépendants voulant le jury ordinaire, la droite une sorte de jury supérieur… M. d’Incourt voulut faire assimiler à un délit la réimpression des anciens livres du siècle dernier : c’était proscrire Voltaire, Rousseau, Diderot, tant d’autres ! L’amendement fut repoussé et la loi votée le 24 décembre 1817. Mais la Chambre des Pairs ne la reçut qu’avec tiédeur : elle vota l’amendement de M. d’Incourt et sur l’ensemble, mécontente de son œuvre, repoussa cette loi par 102 voix contre 59. C’était tout ce qu’avait gagné le cabinet à cette tentative. Détestable politique de bascule, qui ne devait satisfaire aucun des partis et au contraire leur donner la pensée qu’ils étaient tour à tour trahis !

Le cabinet devait commettre une autre faute, c’était de soumettre aux délibérations de la Chambre un projet de Concordat modifiant le Concordat de 1802. Déjà, dès 1814, la royauté, désireuse de relever le prestige abattu de la papauté, avait fait accompagner à Rome le pape Pie VII à peine détaché des liens dont Napoléon l’avait attaché. De plus, la royauté, taxant