Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/150

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ministérielle. Et les outrages, les injures, les accusations formidables tombaient en rafales sur le ministère qui payait, à la fois et d’un seul coup, la hardiesse première de son action libérale et la pusillanimité dernière de sa politique de compensation.

La Chambre tint séance le 14 février, Dès l’ouverture, et grâce à la mollesse complice du président, M. Ravez, M. Clausel de Coussergue demanda à développer une demande de mise en accusation contre M. Decazes, considéré par l’orateur comme le complice matériel du meurtrier. L’initiative était trop violente pour n’être pas désavouée par les habiles de la droite qui, comme M. de Villèle, auraient voulu qu’on mit seulement en cause la complicité morale. L’orateur fut abandonné et quand, le lendemain, il revint à la charge pour présenter sous une forme plus acceptable ses accusations, il était trop tard, et M. de Saint-Aulaire, beau-père de M. Decazes, le souffleta d’une injurieuse et légitime apostrophe. On se réunit pour rédiger une adresse au roi. Seul, le général Foy trouva les mots nécessaires pour en arrêter par avance l’esprit, et chacun remarqua la mélancolie de sa voix. « Sans doute, un tel événement est déplorable — dit l’orateur libéral : il l’est surtout pour les amis de la liberté ; car il ne faut pas douter que leurs adversaires se prévaudront de ce crime affreux pour essayer de nous ravir les libertés… » Prophétique en même temps qu’éloquente parole ! En effet, le poignard de Louvel avait ouvert la voie à une politique nouvelle, et la haine politique allait exploiter les douleurs privées, exhiber ce cadavre, faire résonner le creux de cette tombe, savourer pendant de longues années le bénéfice du sang…

Peut-être, un autre ministre que M. Decazes aurait pu résister. Il eût fallu à ce moment une âme forte, qu’une passion généreuse excitât, sur laquelle vînt glisser l’orage extérieur. L’événement révéla toute la faiblesse du premier ministre, et qu’il était fait davantage pour les intrigues de Cour et de Parlement que pour les luttes suprêmes où l’homme jette toute la substance de son être. Pourquoi n’était-il pas venu à la Chambre au lendemain de l’assassinat du duc de Berry ? C’était là qu’était le péril pour lui, là qu’allaient s’amonceler les passions pour éclater ensuite en violent orage. Certes la mise en accusation de M. Clausel de Coussergue n’était pas périlleuse, mais elle offrait à l’intéressé, servi par l’excès même de la manœuvre, une suprême occasion. Il pouvait, à la place du général Foy, et s’étendant davantage, montrer ceux à qui le crime allait profiter. Il pouvait rappeler les débordements et les violences passés et présents, les suivre et dire hardiment que, dans la mesure restreinte où les passions politiques arment la main d’un solitaire, c’était l’ultra-royalisme qui avait aiguisé l’arme et dessiné la plaie mortelle. Si cette courageuse apologie de sa propre politique n’avait pas réussi, au moins elle eût été quand même tentée, elle eût vengé le libéralisme outragé et, obligé de quitter le pouvoir, M. Decazes