Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/169

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avait-elle donc établi jamais sa splendeur présente ? Et puis il fit l’éloge des officiers, des soldats qui s’étaient levés aux heures de l’invasion… Peut-être eut-il tort de le faire trop complet. Il était difficile, surtout au général Foy, qui était un témoin averti et informé, de n’avoir pas entendu les accusations formulées contre les maréchaux. Ayant servi en Espagne, ne savait-il pas ce qu’avait été la conduite de Soult, les malédictions qui avaient suivi sa prompte retraite et qu’à l’heure même où l’on se trouvait, il avait 26 millions déposés à la Banque d’Angleterre ? Ne savait-il pas que Davoust avait 1 800 000 francs de rente  ? Et Junot, et Masséna, et Marmont ? Pour ce dernier, le général Foy ne connaissait-il pas la terrible dépêche de Napoléon ? (Bayonne, 8 mai 1808. La solde de l’armée de Dalmatie est arriérée parce que vous avez distrait 400 000 francs de la caisse du payeur pour d’autres dépenses. Vous n’avez pas le droit, sous aucun prétexte, de forcer la caisse…) Mais il restait à poser et à résoudre la seule question du débat : l’indemnité est-elle due ? Si elle était due, que pouvait faire le déchaînement de colères et en quoi un contrat loyalement passé par l’État pouvait-il être sacrifié aux passions ? Or l’indemnité était due, et la Restauration en avait la charge comme héritière du régime précédent : sans doute une Révolution peut se dégager des promesses antérieures, parce qu’elle est la Révolution, et qu’elle bâtit sur une terre nouvelle un édifice nouveau. Mais la Restauration n’était pas la Révolution, elle héritait les charges et les avantages du régime impérial. N’avait-elle pas soldé l’arriéré des budgets, payé les frais de la guerre ? N’avait-elle pas accepté le Code civil et, après quelques hésitations, l’œuvre concordataire ? N’avait-elle pas conservé les grandes administrations centralisées ? N’avait-elle pas, pour le moment, comme ministres, quatre des anciens collaborateurs de Napoléon ? Il semblait donc que la thèse gouvernementale allait prévaloir : elle ne fut même pas présentée. M. Pasquier balbutia quelques paroles, éleva contre les projets de la commission de timides protestations, et quand on passa aux votes, le cabinet s’abstint ! La Chambre transforma en secours distribués par le caprice royal l’indemnité due : la dette fut transformée en aumône. Bien plus : on se servit de l’argent disponible pour accroître la pension des officiers émigrés ! Le ministère s’abstint. De plus en plus livré à la folie de ses alliés, il commençait à voir ce qu’il avait perdu, en indépendance, en dignité, en utilité, dans ce marché politique.

M. de Serre, plus qu’aucun autre, devait sentir le poids de cette tutelle dégradante. Mais la colère qu’il éprouvait en constatant qu’il était tombé dans un piège grossier ne se manifestait que contre les libéraux. Il semblait que leur vue seule l’exaspérait, lui rappelant sans doute une communauté de combats et de souvenirs, que, pour son malheur, il avait effacée : aussi bien, c’est entre lui et les libéraux que les duels oratoires s’engageaient, que s’élevaient les redoutables querelles, que s’amoncelaient les outrages.