Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/216

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des inspirations de réaction, et il savait bien que le pouvoir occulte du comte d’Artois avait poussé aux mesures extrêmes de rétrogradation le vieillard chancelant dont il escomptait la fin. On savait bien que sa maison avait été le nid de toutes les intrigues, son entourage, l’état-major tour à tour éclatant ou perfide qui menait tous les combats, qu’il avait exploité le sang de son fils dans un intérêt politique. Comment et pourquoi le roi n’aurait-il pas ressemblé au prétendant, et comment le masque dur de l’héritier présomptif se serait-il prêté à des adoucissements tardifs ? L’habitude revint vite, et tous s’aperçurent que sous le front médiocre que meurtrissait le poids de la couronne, aucune idée nouvelle et hardie n’était issue ; que ce cœur, figé comme l’était l’esprit, restait fermé à toutes les inspirations suprêmes. La réaction allait se déchaîner, et son premier sourire n’était que l’emprunt traditionnel fait au protocole royal qui veut que le premier geste du roi, dès l’avènement, soit une caresse.

Le passé du roi ne pouvait longtemps mentir, et ce n’était pas à son âge, quand les préjugés écrasaient en lui toute velléité libérale, que Charles X pouvait se modifier. Aux gestes de parade succédèrent des actes, et si le libéralisme fut sur les lèvres, on s’aperçut que la réaction était dans le cœur. Le ministère, investi d’autant plus de la confiance du roi que, comme héritier du trône, c’était lui qui l’avait formé, le ministère va surprendre l’opposition libérale par le zèle rapide et brutal avec lequel il va remplir sa tâche rétrograde.

Successivement des projets sont déposés, tant à la Chambre des députés qu’à la Chambre des pairs. À la Chambre des pairs, on demande de décider que dorénavant les congrégations de femmes puissent être autorisées non plus par une loi, mais par simple ordonnance. C’était lever toute difficulté à l’éclosion monstrueuse de ces associations innombrables qui vont envelopper d’invisibles et mortels réseaux la conscience du pays. La loi est salutaire, car le Parlement, mis en garde par la sollicitation dont il est l’objet, responsable, et tout de suite, devant l’opinion publique, le Parlement n’agit pas légèrement. Et la formidable machine parlementaire ne crée pas aussi aisément des congrégations qu’une obscure et simple ordonnance qui coule pour ainsi dire, d’une seule goutte d’encre, de la plume d’un ministre. Ceux-là savaient ce qu’ils voulaient qui allaient soustraire au contrôle aigu du Parlement la formation légale des congrégations de femmes, et on ne peut que rendre hommage à leur volonté rétrograde dans l’instant même où on mesure les excès. Pouvoir, par l’artifice de la foi et par l’exploitation matérielle des pensées mystiques, pouvoir ainsi arracher aux familles pauvres ou riches les missionnaires gracieux et fidèles de la religion, guetter l’heure opportune où la faiblesse, la douleur, la désespérance, le dégoût de vivre, l’horreur des complications matérielles, la terreur de l’avenir, où toutes ces forces malsaines et provisoires livrent