Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/22

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en France le gouvernement ? C’est l’affaire des Français ! Et leur vœu doit être libre ? Et puis pourquoi les Bourbons ? Qui parle d’eux ? Voilà quelques semaines que les alliés foulaient le sol de France, et pas un cri, pas un mot, pas un geste n’avaient pu permettre aux alliés de croire que le gouvernement des Bourbons était désiré. »

C’était là l’argument décisif. Comme il arrive parfois, dans l’escrime savante de la logique, à cet argument péremptoire, M. de Vitrolles ne répondit pas, de peur de ne pas pouvoir l’ébranler. Mais il lui en opposa un autre, d’un autre ordre, et qui devait émouvoir Alexandre. « Les vœux de la France ? Soit. Mais les vœux des rois ? L’empereur ne devait-il aucun sacrifice à la cause de l’inviolabilité des trônes ? La tête de Louis XVI était tombée, ébranlant à la même minute toutes les têtes couronnées. N’était-ce pas un exemple à donner que la réunion des rois pour relever un trône abattu sous les orages ? Or, si cela devait être, quelle famille, mieux que la maison de France, méritait le bénéfice de cette restauration ?… Et quant à la popularité des Bourbons, elle était éclatante. Seulement les lèvres n’étaient pas encore libres de livrer passage au cri profond du cœur. Que l’Empire tombe, et une immense acclamation emplira la France et Paris… »

L’empereur était ébranlé. Le lendemain, les armées coalisées se mirent en marche vers la capitale, de Vitrolles dans la voiture de Metternich. Elles roulèrent devant eux, tel le vent les feuilles mortes, les débris épuisés des armées de Marmont et de Mortier. Enfin, les voilà à Paris. Il fallait frapper les yeux, les oreilles d’Alexandre de manifestations royalistes. L’intrigue savante, l’activité, l’audace, rien ne manqua à la royauté déchue. Le matin du jour où les alliés devaient rentrer à Paris, à quatre heures du matin, Alexandre recevait une délégation du Conseil municipal qui lui assurait la confiance de Paris. Et le défilé commençait. Les cocardes blanches, les drapeaux blancs, les mouchoirs blancs éblouissaient Alexandre, muet, pendant que son entourage encourageait du geste et du sourire la manifestation royaliste.

M. Sosthène de La Rochefoucauld raconte dans ses Mémoires qu’il s’était approché d’un officier général de l’empereur Alexandre pour lui demander ses impressions.

« Il faudrait un acte décisif, avait dit ce dernier, un acte décisif qui entraînât l’empereur.

— Par exemple, la chute de la colonne Vendôme ?

— Oui. »

Et la tentative fut faite, non par haine contre l’empereur, mais pour persuader Alexandre des sentiments de la population.

C’étaient là les preuves tangibles de la popularité des Bourbons, la manifestation d’opinion, « le vœu » de la France dont avait parlé Alexandre ! Mais, au fond, ce dernier ne demandait qu’à être convaincu. Certes, il était