Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/258

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Cependant le dauphin avait pris possession de ses fonctions qui mettaient sous ses ordres le maréchal Marmont. Marmont, à qui la déclaration de l’état de siège avait donné deux jours entiers une souveraineté de pouvoir effroyable, avait résigné son mandat meurtrier avec aisance. Il était cependant frappé de la rapidité de la catastrophe et, comme toute sa fortune était destinée à s’écrouler avec la dynastie, il tenait au triomphe de cette dynastie. Clairvoyant, plus avisé, lui, un soldat chargé d’une besogne de vigueur, que les politiques prétendus qui l’avaient fait nommer général en chef, il avait averti deux fois Charles X de la nécessité de concessions. Mais tout glissait, la parole de Marmont, celle de Vitrolles, sur cet esprit obstiné et vieilli. Cependant, à défaut des paroles, les actes allaient emporter la volonté du roi.

À Paris, en effet, l’insurrection victorieuse cherchait à s’organiser, parce qu’elle redoutait un retour offensif, parce qu’elle voulait profiter de la victoire. Elle cherchait un chef, un organe, un symbole. Le symbole rayonnait par tous les éclats du drapeau tricolore. L’organe fut constitué à l’aide d’une commission dite municipale. Comment fut constituée cette commission ? et surtout pourquoi, devant l’ampleur révolutionnaire d’un tel mouvement qui menaçait la monarchie tout entière, prit-elle ce qualificatif modeste et restreint ? Ce fut l’œuvre des députés timorés ; lorsque l’on parla devant eux d’installer un gouvernement provisoire, la pâleur couvrit leur front. M. Casimir Périer, qui avait à demi fermé sa demeure aux réunions et qui avait avec le roi assez de relations pour ne pas avoir été jeté sur la liste des arrestations, protesta ; aussi M. Dupin, qui n’offrait que des consultations juridiques à propos de la Charte. Un gouvernement provisoire brisait tout lien avec Saint-Cloud, donnait une figure révolutionnaire au mouvement, jetait, en cas d’insuccès, devant le conseil de guerre les hommes responsables. À part Laffitte, Benjamin Constant, La Fayette, Bérard, le général Lobau, Audy de Puyravau, Manguin, quelques autres, aucun ne voulait envisager cette éventualité. Une commission municipale formée pour ramener la sécurité dans Paris prenait tout de suite l’allure d’une assemblée dont le mandat seulement matériel se pouvait défendre, même au lendemain d’une victoire du roi.

C’était là la pensée secrète des hommes de la bourgeoisie libérale qui, sauf les exceptions que nous avons plus haut rappelées, défaillirent tous devant leur tâche. Mais qu’importait aux autres, au peuple, à la classe ouvrière qui s’étaient levés et, en cas de revers, étaient voués à l’écrasement, à la persécution qui suit les défaites civiques ? Le fait effaçait la forme et, municipale ou non, cette commission ne siégerait pas une heure sans devenir une commission nationale, d’autant que M. Laffitte en prenait la présidence et que La Fayette, désigné par le vœu ardent du peuple, imposé plus qu’il ne fut nommé, prenait le titre de général de la garde nationale. Tout de suite