Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les chemins de l’Europe, hôte, tour à tour importun ou agréable, de toutes les cours, séjourne en Italie et puis à Rome, où il marie la fille de Louis XVI au fils du comte d’Artois, le duc d’Angoulême (1799), en Allemagne et enfin en Angleterre. Il perdit là sa femme, fille du roi de Sardaigne, et veuf, sans enfants, ayant enfin trouvé l’asile devant lequel tombèrent les colères de Bonaparte, il partagea sa vie entre l’étude, la littérature, les intrigues, au demeurant, roi cultivé pour son temps, préférant la muse grivoise au labeur pénétrant qui est un des auxiliaires de l’expérience. Son esprit, aigri par les déceptions, s’il eût voulu s’élargir à ce moment, eût tenté une œuvre impossible : les courtisans de l’infortune étaient là, le comte d’Aravay, d’abord, à sa mort, le duc de Blacas, gentilhomme provençal, ancien officier de dragons, déserteur, pour l’émigration, de ses devoirs militaires, ardent royaliste, imprégné de toutes les rancunes étroites où le cœur captif finit par se dessécher. Telle fut sa vie, dans cette Angleterre qui n’était plus, à cette époque, le premier pays de la liberté humaine, mais où les menaces de Bonaparte et ses projets meurtriers avaient accumulé contre la France les haines et les préjugés, et où Pitt, pour mieux vaincre, faisait appel à toutes les passions rétrogrades. Telle fut sa vie en exil, au contact d’un peuple qui ne lui pouvait donner aucune des leçons libérales, qui cependant enrichissent ses traditions et son histoire, au contact du passé sinistre que des mains qui se croyaient pieusement fidèles ranimaient à chaque instant pour lui, tout près de l’enfant orpheline dont la tristesse lui rappelait chaque