Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/88

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répudiait. Après l’accueil fait par Paris à Napoléon, la triomphale traversée de la France, après Waterloo, la haine s’était accrue contre cette nation qui, non seulement avait subi, mais appelé l’usurpateur. Les alliés ne pouvaient croire à une entreprise individuelle aidée de quelques concours, dont le succès était surtout dû à un prestige éclatant et à l’abaissement de la Restauration.

Ils flairaient une conspiration générale et accusaient le pays tout entier d’avoir voulu cette épopée néfaste. Incorrigible et insolente nation, que rien ne pouvait guérir de la gloriole des combats, la France, à les entendre, devait expier le crime d’un homme dont elle avait fait une seconde fois son maître. Et ce qu’il fallait anéantir en elle, ce n’était pas l’ambition dévorante d’un homme maintenant perdu dans le désert des flots, c’était un système, un système national de rapt et de conquête. Or, ce système avait en France ses auxiliaires, ses héritiers. Rien ne serait tranquille tant que vivraient impunis les généraux infidèles, les officiers révoltés, les conjurés civils ou militaires par qui Waterloo avait été possible, et ainsi la préface des arrangements diplomatiques devait être un acte de rigueur, à l’intérieur, contre des Français.

En vain, il faut le dire, Louis XVIII résista, demanda à Fouché un rapport qui pût éclairer les alliés sur l’inefficacité et l’inutilité de ces mesures. Fouché expliqua que sept ou huit individus seulement étaient coupables ; qu’ils s’écarteraient d’eux-mêmes : il fallut céder. De la même main et de la même plume, Fouché rédigea alors une liste de coupables. Il y jeta cent vingt noms. On réduisit la liste à cinquante-sept, dix-sept pour une première catégorie, trente-huit pour la seconde. En la parcourant, Talleyrand dit à Fouché : « Il y a un peu trop d’innocents ». C’était là cependant, pour Fouché tout au moins, le triste et dernier service demandé à leur servitude.

Les coupables désignés « pour punir un attentat sans exemple », disait Fouché, étaient, première catégorie : Ney, Labédoyère, Lallemant aîné, Lallemant jeune, Drouet d’Erlon, Lefebvre-Desnouettes, Bruyer, Gilly, Mouton-Duvernet, Grouchy, Clausel, Laborde, Debelle, Bertrand, Drouot, Cambronne, Lavallette, Rovigo, renvoyés devant un conseil de guerre.

Deuxième catégorie : on y voyait Soult, Alix, Exelmans, Bassano, Marbot, Thibaudeau, Carnot, Vandamme, Lamarque, Lobeau, Regnault de Saint-Jean d’Angely, Réal, Defernon, Merlin de Douai, Hullin, Mellinet qui devaient sous trois jours se retirer à l’intérieur et attendre là les ordres du gouvernement. Enfin, l’article 4 du décret se faisait rassurant : « Les listes de tous les individus auxquels les articles 1 et 2 pourraient être applicables sont et demeurent closes par les désignations nominales contenues dans ces articles, et ne pourront jamais être étendues… » On verra bientôt ce qu’il advint de cette réserve formelle, la seule qui, dans ce décret de mort, contenait un vague souvenir de l’amnistie promise.