Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/115

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toutes ses forces les ministres de Charles X à promulguer les funestes ordonnances de Juillet. Mais il sut s’incliner devant le fait accompli et tandis que le tzar, le roi d’Espagne et le duc de Modène refusaient de reconnaître la monarchie imposée par les révolutionnaires français, il se félicitait, dans un bref daté du 29 septembre 1830, des « sentiments dont son très-cher fils en Jésus-Christ, le nouveau roi Louis-Philippe, se disait animé pour les évêques et tout le reste du clergé ».

Mais s’il acceptait la situation pour la France, et les intérêts de l’Église dans notre pays lui en faisaient une obligation à peine d’isoler le clergé du reste de la nation, il était bien résolu à tout faire pour qu’elle ne s’étendît pas au domaine de Saint-Pierre et aux légations qu’y avaient adjointes les traités de 1815. Dans les États du pape proprement dits, il n’y eut pas de mouvement et l’insurrection se limita aux légations. Selon Sismondi, tous les Romains portaient la tonsure, la livrée ou la guenille. Un peuple réduit à ce degré de parasitisme est fermé à tous les grands courants par lesquels l’homme manifeste sa dignité et aspire à de plus hauts destins. Rome prélevait sa dîme sur l’univers catholique, aussi les impôts y étaient-ils légers, et, nous dit M. Bolton-King dans son Histoire de l’Unité Italienne, « quand les prix des aliments étaient élevés, les communes étaient forcées, l’opinion publique consentante, à acheter des approvisionnements et à les vendre à un prix de bon marché artificiel. Et, pour maintenir à Rome des prix bas, le blé pouvait être affranchi des droits communaux, mais seulement lorsqu’il devait être dirigé sur la capitale ».

Rome, on le voit, était demeurée, avec les papes, dans la tradition impériale. Il faut bien se garder, en effet, de confondre ces variantes de la sportule naguère distribuée à la plèbe romaine, faible part des dépouilles de l’univers conquis par l’épée, avec les mesures économiques temporaires, telle la loi du maximum adoptée par la Convention parmi les mesures de salut public nécessitées par la guerre intérieure et extérieure. La cour de Rome vivant des libéralités des fidèles du monde entier, tous les Romains, prélats, valets ou mendiants, devaient avoir leur part. Ceux qui étaient au dernier degré de cette échelle de mendicité ne recevaient que des miettes, et, nous apprend M. Bolton-King, « un juge irlandais qui avait beaucoup voyagé déclarait que les sujets du pape étaient le seul peuple d’Europe qui fut plus misérable que ses compatriotes ».

L’activité économique était nulle, et par conséquent nulle aussi l’activité intellectuelle. Le même pouvoir qui interdisait l’étude de Dante dans les écoles, d’ailleurs peu fréquentées, déclarait « illégal » l’usage du gaz d’éclairage. Il n’y avait pas d’enseignement primaire pour les filles, et un monsignor disait au marquis d’Azegho, le grand patriote italien : « Un peuple ignorant est plus facile à gouverner. » À la loterie divine, où peu sont élus, le gouvernement papal ajoutait la loterie temporelle, vendant l’espérance sous toutes les formes à ses misérables sujets. Et donnant le pas aux biens périssables sur ceux de l’éternité, sans doute parce qu’il savait ce que valent ceux-ci, le pape les privilégiait aux dépens de la messe et des grâces spirituelles qui y sont attachées : les magasins et les cafés étaient bien obli-