Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/132

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appeler « l’ère nouvelle » en l’annonçant, en l’installant dans les esprits.

Le rédacteur terminait en plaçant son œuvre sous la protection de Dieu. « Car disait-il, nous n’aurons tous qu’une seule volonté, une seule pensée, un seul but ; nous aurons alors une religion, Dieu sera avec nous. » Nous verrons plus loin jusqu’où le sentiment religieux, exaspéré par le mysticisme d’Enfantin, entraîna les saint-simoniens, comment il compromit leur œuvre sociale et finalement la ruina.

Tandis que le véritable discours de la couronne se contentait d’admirer la patience des ouvriers victimes de la crise, tandis que les républicains rendaient le pouvoir responsable de cette crise et tentaient d’agiter les faubourgs, un appel aux ouvriers en chômage était lancé par affiches placardées dans les divers quartiers de Paris, sous un titre qui devait être célèbre dix-sept ans plus tard : « Exploitation de l’atelier national. » Les auteurs de ce placard, A. Crebassol et J. Rosier, invitaient en ces termes les ouvriers à se faire inscrire, 37, rue Poissonnière :

« On parle beaucoup des besoins du peuple, de sa misère, et rien d’utile n’a été fait pour le soulager. Voici l’heure d’y songer : que les heureux du siècle nous secondent ! Et vous, ouvriers, que le besoin assiège, venez à nous ; ce n’est point une aumône, c’est du travail qui vous attend. Cent métiers de différents genres seront ouverts à votre activité ; nous ne vous demandons que la preuve d’une vie irréprochable. »

Par quel moyen les signataires de cette affiche entendaient-ils tenir la promesse téméraire par laquelle ils appelaient les sans-travail, dont deux mille cinq cents se firent inscrire en trois jours ? Par une souscription publique sollicitée en ces termes dans un « premier bulletin » qui fut envoyé à domicile aux banquiers, agents de change, notaires, hauts fonctionnaires, capitalistes de Paris :

« Riches de toute la France, hauts fonctionnaires si généreusement rétribués… refuserez-vous une parcelle de votre superflu, quand peut-être il y va du repos de la France, de notre existence à tous ?… Ne voulant demander un peu de superflu qu’aux hommes en position de le donner, nous dresserons une statistique des diverses administrations, dont nos bulletins feront successivement connaître le nombre d’employés, ainsi que les appointemens de chacun d’eux. Déjà, parmi ces employés des diverses administrations, beaucoup se sont empressés de nous envoyer leurs souscriptions ; leurs noms seront signalés à la reconnaissance nationale, ainsi que le nom de tous les hommes qui se seront ralliés à nous. À cet effet, chacun de nos bulletins contiendra la liste des souscripteurs inscrits depuis la publication du précédent bulletin, et en regard les noms des hommes qui nous auront répondu par un refus formel… On parle beaucoup des sacrifices à faire pour le peuple ; le peuple ici reconnaîtra ses vrais amis. »

Ce document fut imputé aux saint-simoniens par quelques journaux. Michel Chevalier protesta au nom « du collège de la religion saint-simonienne » et sa protestation fut d’autant plus indignée, quoique très modérée de ton, que précisément le Globe, dans son numéro du 19 juillet, s’était écrié, parlant de l’entreprise