Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/239

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affligeant que soit le tableau des querelles ouvrières, achevons-le, pour que le passé soit la leçon vivante du présent.

En 1833, les tanneurs de Lyon entreprennent de chasser les cordonniers. Au nombre de trois cents, les combattants s’assaillent et se poursuivent dans les rues. À quelque temps de là, les tanneurs sont attaqués par les charpentiers armés de leurs terribles outils, parce que les tanneurs s’obstinent à porter à leur chapeau des rubans de diverses couleurs, ce qui est un privilège des charpentiers. À la même époque, à Marseille, un compagnon passant tue un compagnon de liberté.

La littérature des compagnons exprime leurs mœurs. Leurs chansons, dit Perdiguier « sont une des principales causes de désordre dans le compagnonnage ». Elles entretiennent, en tout cas, un esprit de corps poussé jusqu’à la férocité. Les choses iront au point qu’en 1836, à la suite d’un combat réglé entre charpentiers et cordonniers, renouvelé des Horaces et des Curiaces, un des charpentiers trempera le museau de son chien dans la mare sanglante où gît un cordonnier grièvement blessé d’un coup de sabre, en lui disant : « Tiens, tiens, bois le sang d’un sabourin. »

On boit beaucoup dans les multiples cérémonies du compagnonnage. Et c’est après boire qu’on prend des résolutions. C’est en buvant qu’on chante des chants de guerre comme celui-ci :


En mil huit cent vingt-cinq,
Un dimanche à Bordeaux,
Nous fîmes du boudin
Du sang de ces gavots…
Le bourreau en avant
Vous pendra comme des brigands,
Devant nos dévorants
Pleins d’esprit et de talent.


Et comme celui-ci :


… À coups de cannes et de compas
Nous détruirons ces scélérats ;
Nos compagnons sont tous là,
Fonçons sur eux le compas à la main.
Repoussons-les, car ils sont des mutins.


On croit lire les orgueilleuses et cruelles inscriptions que les rois assyriens faisaient graver sur les murs de leurs palais, et le passage de la Bible où David est célébré parce qu’il a tué dix mille ennemis, tandis que Saül n’en a tué que mille. Mais quels sont les ennemis de ces ouvriers ? Des ouvriers comme eux. Qu’ont fait ces ennemis ? Ils portent des rubans de couleur différente à leur canne et à leur chapeau de cérémonie.

Ces querelles que Nadaud nous montre se poursuivant sur le chantier, Perdiguier, le bon compagnon, nous dira jusqu’où elles vont, au grand bénéfice des maîtres. Il nous présente les compagnons menuisiers divisés en deux sociétés « ja-