Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/241

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raient des droits uniformes. Ils voulurent que… les pratiques barbares, le port des cannes et des couleurs, les cérémonies mystérieuses des chants agressifs fussent à jamais abolis parmi eux… Des groupes se formèrent sur le pied de l’égalité entre professions analogues… Des syndics remplacèrent les rouleurs sans conserver le droit de prélever à leur profit un tribut d’embauchage ; mais une gratification proportionnelle à la perte de leur temps leur fut allouée sur la caisse commune. »

C’est à ce moment que la société des serruriers de Lyon se forme comme un véritable syndicat. Mais quantité d’ouvriers n’avaient pas attendu, pour se grouper, que le compagnonnage s’élargît. De même, pour se mettre en grève ou pour manifester en troupe leur mécontentement, il n’était pas nécessaire qu’une association quelconque les réunît. La souffrance du moment les réunissait spontanément, et la répression, toujours implacable, (sauf à Lyon en 1831, et nous avons vu pour quelles raisons) les dispersait et les faisait rentrer dans l’ombre.

Nous avons dit le mouvement des ouvriers imprimeurs, en août et septembre 1830, contre les machines. Il y en aura encore, de-ci, de-là, dans d’autres professions et pour les mêmes motifs, mais ces convulsions n’auront jamais la gravité qu’elles ont eue en Angleterre quelques années plus tôt. En 1831, les ébénistes tentent, sans succès, de briser les machines à débiter le bois. L’année d’ensuite, les ouvriers en papiers peints de la maison Dauplain, qui vient d’adopter une machine importée d’Angleterre, s’ameutent, lancent des pierres en criant : À bas la machine ! Dispersés rudement par la police, ils se réunissent à la barrière de Ménilmontant et décident de mettre la maison Dauplain en interdit pour trois ans. Mais la machine est la plus forte.

Quant aux grèves proprement dites, les plus importantes pour l’année 1833 sont celles que nous avons énumérées plus haut. Suivons-les rapidement, dans leurs chances diverses, et dans leurs résultats ultérieurs.

La grève des mineurs d’Anzin fut une véritable émeute, une émeute de la faim. On ne peut trouver une autre expression lorsqu’on sait que de 1817 à 1833 les salaires avaient été réduits d’un cinquième. En vain, les ouvriers, en 1824 et en 1830, avaient tenté de s’opposer à ces réductions successives d’un salaire qui, finalement, devait tomber au-dessous de deux francs. Les grévistes de 1833 demandaient une augmentation de vingt centimes, ce qui fit surnommer leur mouvement « l’émeute des quatre sous ». La grève avait été violente, à la mesure de l’exaspération ouvrière. Le tribunal de Valenciennes frappa quelques-uns de ces malheureux, car la loi était formelle, mais le président Lécuyer ne put se tenir de dire aux accusés, au moment de prononcer son jugement :

« La plupart d’entre vous vont être rendus à la liberté ; tous cependant ne furent pas exempts de reproches ; mais les motifs d’indulgence pour les coupables furent pour vous, dans le doute, des moyens d’acquittement… Toutes les autorités forment des vœux sincères pour l’amélioration de votre sort ; la voix de l’humanité ne tardera pas à se faire comprendre ; les riches propriétaires de mines ne peuvent pas être vos tyrans, non, ils ne peuvent l’être ; un titre plus digne leur est réservé ;