Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/267

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À côté du Réformateur et du Bon Sens, la Revue républicaine, où dominait l’école de la Convention, dont Cavaignac était le personnage le plus représentatif, était d’esprit assez large pour accueillir des écrivains comme Dupont, qui proposait un système de socialisme d’État combiné avec les associations autonomes de production et d’où le salariat ne disparaissait pas. À son exemple, les rédacteurs de cette revue donnaient le pas aux questions sociales, d’éducation publique, d’art, de morale, sur les questions de politique pure.

Parmi ceux qui tentaient de détourner la société des Droits de l’Homme de la voie terroriste et de l’entraîner vers la propagande, il faut également compter certains républicains sans aucune préoccupation sociale, tels qu’Armand Carrel et Garnier-Pagès, l’auteur de cette fameuse formule de conciliation des riches et des pauvres dans la République : « Nous ne voulons pas raccourcir les habits, mais allonger les vestes. » Il nous faut même compter, qui le croirait ! Cavaignac lui-même.

Le ton et l’allure des républicains s’est en effet tellement accentué, la violence a si bien appelé la violence, elle se dépasse si bien elle-même dans un perpétuel paroxysme de soupçon et de fureur, qu’on en arrive à qualifier Cavaignac de modéré, qu’on le condamne à mort et qu’il est réduit à rester enfermé chez lui, à Saint-Maur, pendant un mois, jusqu’à ce que ses amis l’aient lavé du soupçon de modérantisme, c’est-à-dire de trahison.

Les conventionnels, les néo-jacobins, sont dans la tradition et entendent y demeurer. Ils prétendent continuer la Terreur ; seule elle peut vaincre à la fois l’hostilité des gens au pouvoir et l’inertie des foules. « Ils s’en tiennent, écrivait alors Béranger d’un discours de Cavaignac, à 93, qui les tuera. » Parmi eux il faut citer tout un groupe de médecins, notamment Recurt, tout dévoué aux pauvres ; Kersausie, un gentilhomme breton, ancien officier ; le crieur public Delente, que son activité rend très influent ; Voyer d’Argenson et Audry de Puyraveau, également député.

Ces derniers furent mis en cause à la Chambre le 6 janvier 1834, à propos du manifeste des Droits de l’Homme. Ils firent aussitôt face à l’agression. » Toute ma foi politique, morale, et je pourrais presque dire religieuse, dit Voyer d’Argenson, peut s’exprimer par ce seul mot, égalité. But prochain, égalité de droits politiques ; but final et permanent, égalité des conditions sociales. » De son côté, Audry de Puyraveau railla les réactionnaires qui représentaient la société des Droits de l’Homme comme voulant le pillage et la loi agraire, « ce croquemitaine des imbéciles ».

Puis il posa la théorie de la souveraineté absolue du peuple, d’où découlait le droit à la révolution contre tout régime non issu du suffrage universel, et montra le régime de la bourgeoisie incapable de s’occuper des ouvriers. « J’ai vu à Toulon, dit-il, des pêcheurs qui m’ont déclaré gagner douze sous par jour, et qui m’ont dit en même temps qu’ils ne se souvenaient pas qu’un seul jour de leur vie ils avaient pu manger assez de pain pour se rassasier. »