Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/271

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Le gouvernement surveillait avec attention ce mouvement, accentué dans le sens de l’action par le triomphe de Kersausie et de ses amis. Il savait que ceux-ci étaient impatients d’essayer la force qu’ils avaient organisée en vue de la bataille. La Tribune publiait des articles contre la loi sur les associations, qui sentaient la poudre. Elle disait, le 17 mars : « Les questions d’insurrection sont pour un peuple des questions d’opportunité ; pour un parti comme pour un homme, les questions d’honneur sont toujours opportunes. » De même, le 23 mars elle disait : « Nous sommes pas de ceux qui pensent que la liberté est bonne tout au plus à ce qu’on fasse pour elle des phrases et du sentiment platonique ; les traditions révolutionnaires ne se continuent pas à si bas prix. »

Mais les sociétés de province sentaient que la loi passerait. Bien résolues à résister, elles demandaient si Paris les soutiendrait ou, mieux, s’il donnerait le signal. Pour la plupart d’entre elles, il s’agissait bien plutôt de ruser avec le pouvoir, de s’exposer aux rigueurs de la nouvelle loi, que de s’insurger. Ces consultations jetèrent le Comité des Onze dans la perplexité, car les moins clairvoyants pouvaient mesurer les forces du parti dans les départements, et, sauf sur de rares points, elles n’étaient guère de taille à affronter la lutte ouverte.

Dans les réunions du comité, qui se tenaient parfois chez La Fayette, Carrel, Garnier-Pagès, Buonarotti, conspirateur exercé, démontraient l’impossibilité de la lutte armée. Cavaignac, tout en organisant les forces d’action, n’était pas pour qu’on les employât aussi prématurément.Ces opinions prévalurent dans le comité, et la Tribune ne prépara plus aussi ouvertement ses lecteurs à l’action violente ; elle invitait, le 28, les citoyens à se défendre si on les attaquait. Les choses en étaient là quand parvint à Paris la nouvelle de l’insurrection lyonnaise.

De nouveau, à Lyon, le peuple du travail se soulevait ; mais cette fois ne trouvait pas la démocratie incompréhensive et indifférente. La défaite de 1831 avait fait comprendre aux ouvriers lyonnais que le pouvoir auquel ils venaient de se heurter était un pouvoir de classe, tout dévoué aux fabricants. Ils prêtèrent donc l’oreille à la propagande républicaine, annonçant une démocratie où chaque homme serait un citoyen ayant droit de délibération et prenant part à la législation commune. De leur côté, les républicains lyonnais avaient été gagnés aux idées sociales par l’influence de Cabet, de Raspail surtout, le premier n’ayant pas encore formulé le système communiste qu’il devait rapporter de l’exil.

Parmi les groupes républicains lyonnais, il y en avait deux exclusivement composés d’ouvriers : celui des Hommes libres et un groupe de la Charbonnerie. Mais, comme à Paris, la division était dans les rangs du parti. Les hommes de la propagande, plutôt fédéralistes, attachés à l’action régionale et d’ailleurs pacifique, étaient groupés autour du journal le Précurseur, rédigé par Anselme Petetin. Les hommes du combat, centralistes déterminés, avaient pour organe la Glaneuse et recevaient le mot d’ordre de Paris. Cavaignac avait tenté en juillet 1833 de les réunir dans une action commune, mais le comité, qui se forma sous ses auspices et