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déclara la propagande préférable au combat, ne se réunit que pour se diviser et disparaître.

Les canuts étaient, depuis 1828, reliés par une association professionnelle, le Devoir mutuel, d’où l’appellation de mutuellistes qui leur demeura. Ce n’était pas une société de secours mutuels, comme son titre semblerait l’indiquer. Son objet était la défense des intérêts des chefs d’ateliers et de leurs compagnons contre le patronat, contre les fabricants. L’association avait mené la campagne des tarifs de 1831 qui avait échoué par la perfidie des fabricants reniant la signature de leurs délégués et par l’attitude hostile du pouvoir se prononçant en faveur des fabricants. Nous avons vu au chapitre III, que ces faits, inouïs dans la tradition lyonnaise, avaient poussé les ouvriers à la révolte.

Malgré la défaite, le mouvement ouvrier avait tout de même porté ses fruits. Le maréchal Soult avait bien rapporté, le 7 décembre 1831, le tarif signé le 25 octobre ; mais le même jour le conseil des prudhommes prenait la décision d’en fixer un après enquête, qui servirait de base dans les contestations entre les fabricants et les chefs d’atelier. De plus, en février 1832, le gouvernement augmentait le nombre des membres du conseil des prudhommes et, le 9 mai de la même année, il dotait la Caisse de prêts pour les chefs d’atelier tisseurs et accordait à cet établissement la reconnaissance d’utilité publique.

Malgré ces avances, les canuts n’oubliaient ni leur frères morts en combattant sur les barricades de novembre, ni les revendications qu’ils avaient à soutenir. Les journaux conservateurs, attentifs aux faits et gestes des mutuellistes, les dénonçaient comme républicains. Leur journal l’Écho de la Fabrique s’en défendait, disait que leur action était purement professionnelle. « Notre feuille est toute industrielle, disait l’Écho de la Fabrique ; le seul but, en la créant, a été de provoquer des améliorations pour une classe laborieuse qui a fait la gloire de notre cité et qui se meurt dans les angoisses de la misère… La feuille que nous publions n’est pas politique, et nous nous soucions fort peu d’entrer dans de pareils débats. »

Les accusait-on de violer la loi en constituant une coalition permanente, forts du secret de leur association, dont les statuts ne furent jamais écrits qu’à deux exemplaires, les mutuellistes répondaient dans l’Écho : « L’association réunit aujourd’hui la grande majorité des chefs d’atelier, c’est-à-dire de 1.000 à 1.200… Elle n’a rien de militaire ; c’est une classification établie pour surveiller l’exécution d’un contrat mutuel formé entre tous les associés… pour refuser le travail à telle ou telle condition. Il est évident qu’il n’y a rien dans cette convention qui sorte du droit naturel qu’a tout homme de ne livrer son travail qu’au prix qu’il lui plaît d’accepter. »

Oui, lorsque cet homme est patron, c’est un droit naturel ; non, lorsqu’il est ouvrier. On le fit bien voir aux mutuellistes en les poursuivant. Mais quelles preuves réunir contre une association dont tous les membres gardaient soigneusement le secret de son organisation. Quatorze chefs d’ateliers poursuivis en août