Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/341

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Dans le comité électoral issu de cette coalition, et où les démocrates étaient en majorité, figuraient, outre les noms cités plus haut, ceux de Garnier-Pagès, de Ledru-Rollin et de David d’Angers. Odilon Barrot se tint à l’écart et protesta contre ce qui se faisait.

À Paris, la coalition de gauche eut presque le tiers des voix. Martin (de Strasbourg) et Michel (de Bourges) furent élus. Voyer d’Argenson et Laffitte furent battus par les candidats ministériels ; ce dernier fut élu cependant, quelques jours plus tard, par un collège parisien.

En province, nous l’avons dit, les positions n’étaient modifiées en rien. La même Chambre revenait, malgré les efforts du comte Molé pour s’assurer une majorité. La pression la plus directe et la plus violente avait été exercée sur les électeurs et sur les candidats. L’un de ceux-ci, Billaudel, était fonctionnaire. Le pouvoir, qui acceptait que des fonctionnaires fussent députés, ne le souffrait qu’à la condition qu’ils fussent ministériels. Or, Billaudel était dans l’opposition : il fut mis en demeure d’opter entre son emploi et sa candidature. Il resta candidat et fut élu.

Dès les premières séances de la nouvelle Chambre, les manœuvres du ministère en faveur de ses candidats furent dénoncées à la tribune. On montra le préfet du Morbihan pesant sur le parquet pour tourner le sort des procès de certains électeurs selon le vote qu’ils émettaient. Le ministre de la justice défendit assez adroitement son subordonné.

Bien que peu sûr de la majorité, puisque c’était la même qui jusqu’à présent ne lui avait permis aucune initiative, le comte Molé ne se gêna pas, après les élections, pour frapper les opposants qui étaient à la fois députés et fonctionnaires. C’est ainsi que Dubois, inspecteur général de l’Université, et Baude, conseiller d’État, le même qui, dans la précédente Chambre, avait lancé de graves accusations contre le maréchal Clauzel, furent destitués pour s’être prononcés contre un projet de loi déposé par le ministère.

D’autre part, sous la pression de l’opinion éclairée, le gouvernement faisait de la vertu et, armé d’une loi votée dans les Chambres au cours de l’année, il fermait toutes les maisons de jeu, le 31 décembre, à minuit précis. La foule, dit M. Thureau-Dangin, « assista gouailleuse et méprisante, à la dispersion des joueurs et surtout des joueuses ». Il restait d’ailleurs un vaste tapis vert à la bourgeoisie. La Bourse restait, et grandissait, travaillée par la fièvre d’affaires que suscitaient le renouvellement du matériel industriel, les inventions nouvelles, les chemins de fer, et aussi les « Bitumes du Maroc » et autres fantaisies financières lancées par le monde de l’agio.

À la coalition électorale des gauches, purement temporaire, succéda, dès les premiers moments de la nouvelle Chambre, une coalition parlementaire, permanente, celle-ci, et autrement redoutable au ministère que l’autre. Duvergier de Hauranne en était l’artisan. Son objectif était de réunir toutes les forces vives du parlementarisme pour contraindre Louis-Philippe à respecter la fiction