Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/378

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l’exemple des tailleurs encourageait les ouvriers, étendait la grève à toutes les corporations, et en même temps les solidarisait dans un mouvement commun. Il n’y avait plus qu’un moyen de sauvegarder les intérêts du patronat tout entier, c’était d’appliquer la loi dans toute sa rigueur et de ne plus tolérer aucun rassemblement d’ouvriers. Les menuisiers tombèrent les premiers sous les coups de cette nouvelle procédure.

L’affaire de la barrière du Maine, loin de les décourager, les excita encore davantage. Ils se réunirent rue Saint-Lazare, rue Cadet, dans d’autres salles encore. La police envahissait leurs réunions, les dispersait, faisait des arrestations en masse. Une délégation de huit membres alla trouver le préfet de police pour lui demander que les menuisiers fussent traités comme l’avaient été les tailleurs. On la retint prisonnière à la préfecture, puis, provisoirement, ses membres furent relâchés. N’était-on pas sûr de les reprendre ? Tout ouvrier élu délégué ou syndic par ses camarades était de ce fait voué à la prison.

On dispersait les réunions des menuisiers. Ils les transformèrent en manifestations dans la rue. Les charpentiers se joignirent à eux et tous ensemble envoyèrent une pétition au ministre des Travaux publics exposant leurs revendications : journée de douze heures, paiement des heures supplémentaires et suppression du marchandage.

C’est à ce moment que les tailleurs de pierre entrèrent eux aussi en mouvement. Deux mille cinq cents d’entre eux se réunirent le 25 août, autorisés par le préfet de police, et nommèrent trente délégués, ou syndics, chargés de s’entendre avec les entrepreneurs. Pourquoi cette autorisation, après les interdictions précédentes ? Parce que les patrons consentent à discuter avec leurs ouvriers. C’est du moins le motif qu’on avoue. Nous allons voir tout à l’heure que les ouvriers n’y gagneront rien.

Dans cette réunion, une délibération fut prise, longuement et fortement motivée, contre le marchandage. Par cette délibération, l’engagement présenté à l’acceptation des patrons est qualifié « un engagement d’honneur, jusqu’à ce que l’autorité, suffisamment éclairée par les soussignés comme aussi par les entrepreneurs et les hommes de l’art à ce connaissant, rende obligatoire pour tous une mesure dictée par un sentiment de justice et d’humanité ».

Mais les employeurs refusèrent d’accepter le compromis, rédigé en six articles, qui devait substituer le travail à la journée (douze heures l’été et dix l’hiver) au travail à la tâche et supprimer le marchandage des tâcherons. Un des trente syndics, Vigny, refusa de signer ce document avant de s’être assuré que l’autorité n’y voyait rien d’illicite. Sa préoccupation de légalité ne le sauva pas du sort commun. Du moment que les entrepreneurs refusaient toute entente, le règlement proposé par les ouvriers devenait un acte de coalition, un délit. L’autorisation de se réunir, accordée aux maçons et tailleurs de pierre pour nommer leurs délégués, fut le piège où l’on prit ceux-ci, afin