Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/447

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Ce futile débat, où Guizot remporta grâce à sa majorité de fonctionnaires, détacha pour toujours du camp ministériel le poète qui avait été un ornement pour la monarchie et devint une force pour l’opposition. Par un chassé-croisé assez curieux, cette démission rapprocha Thiers du gouvernement. Guizot fit la grimace, mais dut subir ce dangereux compagnonnage.

Lamartine passant à gauche, était-ce là un événement imprévu ? Certes, non. La discussion de la régence ne fut que la cause occasionnelle d’un changement dont la Marseillaise de la paix avait été le plus visible symptôme. Louis-Philippe était bien le roi de la paix à outrance, mais il ne l’eût pas chantée, génie poétique mis à part, sur le même ton que Lamartine. Quand celui-ci disait au banquet des antiesclavagistes : « Les vrais plénipotentiaires des peuples, ce sont leurs grands hommes, les vraies alliances, ce sont leurs idées, » il s’opposait de tout son idéalisme, de toute son aspiration vers un état nouveau, à la servilité de Louis-Philippe vis-à-vis des monarchies absolues et à son culte étroitement réaliste des intérêts les plus immédiats.

Il avait combattu, deux ans auparavant, le projet des fortifications de Paris, et mis l’opinion en garde, vainement, contre l’apothéose de Napoléon : « Je ne suis pas, s’était-il écrié, de cette religion napoléonienne, de ce culte de la force que l’on veut depuis longtemps substituer dans l’esprit de la nation à la religion sérieuse de la liberté. Je ne crois pas qu’il soit bon de déifier ainsi sans cesse la guerre, de surexciter ces bouillonnements déjà trop impétueux du sang français qu’on nous représente comme impatient de couler après une trêve de vingt-cinq ans, comme si la paix, qui est le bonheur et la gloire de notre monde, pouvait être la honte des nations. »

Pourquoi il était passé à gauche ? Il le dit à ceux qui ne s’étaient pas encore étonnés de la contradiction qui éclatait entre de telles paroles et la situation politique de celui qui les prononçait. Lors de la discussion de l’adresse, il dressa, dans un magnifique discours, l’inventaire du régime de Juillet et constata la faillite. Il montra les satisfaits s’engourdissant dans la digestion du pouvoir, tandis que s’éveillait une France nouvelle :

« Derrière cette France qui semble s’assoupir un moment, disait-il, derrière cet esprit public qui semble se perdre, et qui, s’il ne vous suit pas, du moins vous laisser passer en silence, sans vous résister, mais sans confiance ; derrière cet esprit public qui s’amortit un instant, il y a une autre France et un autre esprit public ; il y a une autre génération d’idées qui ne s’endort pas, qui ne vieillit pas avec ceux qui vieillissent, qui ne se repent pas avec ceux qui se repentent, qui ne se trahit pas avec ceux qui se trahissent eux-mêmes, et qui, un jour, sera tout entière avec nous. »

Était-ce une adhésion à la république ? Non. Lamartine n’alla pas jusque-là. Il voulait ramener la monarchie au pacte de 1830, entourer le trône d’institutions républicaines. Mais dans cette sphère réduite où il s’emprisonnait