Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/448

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volontairement, il allait montrer une liberté singulièrement plus grande que les démocrates de son temps : notamment lorsqu’il se prononcerait pour la séparation de l’Église et de l’État.

Les intérêts, vraiment, avaient bien autre affaire que de s’occuper des idées. Un projet du gouvernement les faisait alors entrer en effervescence. Guizot et Louis-Philippe avaient conçu un projet d’union douanière avec la Belgique, sur le modèle du Zollverein allemand de 1833 qui venait d’être renouvelé en 1841. Ce pacte douanier, qui supprimait tous les inconvénients économiques du morcellement de l’Allemagne en une quantité de souverainetés politiques, avait valu à ce pays de sérieux avantages par la conclusion et le renouvellement de traités avec la Turquie, l’Angleterre et les Pays-Bas, notamment. L’Allemagne devenait ainsi un marché unifié en même temps qu’une grande puissance économique, et menaçait singulièrement les intérêts de la Belgique.

Le roi Léopold s’était donc facilement entendu avec le roi Louis-Philippe pour l’établissement d’un Zollverein franco-belge. Il était venu à Paris en arrêter les termes avec son beau-père et les ministres de celui-ci. Mais l’Angleterre veillait. Robert Peel vit que tout ce que la Belgique industrieuse gagnerait au libre accès du marché français serait perdu pour le commerce anglais. Il appela donc l’attention des cours du Nord sur les projets de Louis-Philippe et de son gendre.

Et l’on vit cette chose étrange ; la Russie et l’Autriche, la première engagée tout entière dans le Zollverein, et la seconde pour ses provinces allemandes, s’unir à l’Angleterre et à la Russie pour empêcher la France et la Belgique d’en faire autant. Les puissances affectèrent de voir dans cette union économique une violation des traités de 1815, absolument comme elles affectaient d’ignorer que la Belgique devait son existence comme nation à la violation de ces traités.

Les capitalistes français vinrent épargner au gouvernement de Louis-Philippe la honte d’une capitulation devant ces exigences, et ce fut devant les leurs qu’il s’inclina. Dès que le bruit avait couru d’une union douanière avec la Belgique, les industriels du Nord, les propriétaires de mines, les métallurgistes, les manufacturiers s’étaient mis en mouvement pour faire échouer ce projet qui ouvrait le marché français à leurs concurrents belges.

Fulchiron menait le chœur des intérêts alarmés, qui voulaient conserver ! e monopole du marché. Une réunion tenue chez lui vota des résolutions portant que « chacun de ses membres porterait ou chercherait l’occasion de porter ses doléances auprès du trône et lui ferait connaître les perturbations que causerait la réalisation des projets ministériels ». Et ils avaient accès auprès du trône, ces barons de la houille, ces ducs du fer, ces marquis du coton, ces seigneurs du sucre. Ils étaient la vraie féodalité nouvelle dictant à son élu ses