Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/450

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barons qui « font payer le fer à la France le double de ce qu’il vaudrait sans cette protection. Même résultat pour les houilles ».

Et Toussenel s’écrie avec une fureur ironique : « Jamais la noblesse d’autrefois n’a revendiqué pour elle seule le droit de se nourrir de viande de bœuf. M. le maréchal Bugeaud m’a tenu une fois trois heures, sur le trottoir de la rue de l’Université, pour me prouver que le peuple français était intéressé à ce qu’il ne se consommât en France que de la viande nationale, c’est-à-dire de la viande provenant de ses pâturages à lui, grand propriétaire de la Dordogne. Il n’a pas réussi à me faire renoncer à cette sotte opinion : que la première condition d’une viande nationale était d’être abordable aux estomacs nationaux. »

Le patriotisme, bien plus impérieusement, bien plus sûrement qu’à l’occasion des événements d’Orient, eût dû faire au gouvernement une loi de ne pas céder aux réclamations des quatre puissances et de conclure le Zollverein franco-belge. Mais le nationalisme des gros intérêts des maîtres de la production opposés à ceux du peuple, des capitalistes qui considèrent le pays comme leur domaine et ses habitants comme leur clientèle au sens le plus étroit du mot, ce nationalisme-là parlait plus haut que le patriotisme aux oreilles du roi et de ses conseillers. Le projet d’union douanière fut donc abandonné, et Guizot put se donner le facile mérite d’avoir cédé aux prières des intérêts nationaux alarmés, et non à la menace de l’étranger.

Un scandale éclata sur ces entrefaites, qui prouva que les gouvernements ne se vouent jamais impunément au culte des intérêts matériels des plus forts et des plus riches, et qu’un tel abandon de la puissance publique donne fatalement le signal de la débâcle morale dans les rangs des fonctionnaires. On était au plus fort des travaux entrepris sous la direction de Rambuteau, préfet de la Seine depuis 1833, pour améliorer la viabilité parisienne et assainir en même temps l’immense cité. Circonstance on ne peut plus favorable aux spéculations sur les terrains. On pense bien que les capitalistes ne l’avaient pas laissé échapper.

Mais il y en eut qui ne se contentèrent pas d’acheter à bon prix un lot de maisons qu’on supposait devoir être un jour expropriées, et d’escompter le bénéfice de cette opération, que le code de la bourgeoisie et sa morale déclarent également licite. Ils voulaient jouer à coup sûr, et pour cela ils achetèrent, en l’intéressant à leurs gains, le chef du bureau de la grande voirie et des plans de l’Hôtel de Ville. Celui-ci, nommé Hourdequin, s’associa ses subordonnés, et, avec leur complicité, organisa une véritable entreprise commerciale de concussion et de chantage. Les spéculateurs et les entrepreneurs se procuraient les plans d’alignement arrêtés par le préfet moyennant quinze ou vingt mille francs.

Les propriétaires expropriés qui ne s’étaient pas mis en règle avec cette